Cameroun - Ebodje : Le paradis des tortues marines en danger
En cette première moitié du mois de juillet 2022, l’épais nuage de poussière couvrant d’ordinaire la cinquantaine de kilomètres qui séparent le village Ebodje à la ville de Kribi (Sud-Cameroun) a laissé place à une piste légèrement boueuse. Les conducteurs de mototaxis, au volant de leur engin, se confient au premier venu. Tous les sujets sont les bienvenus en cette période où la saison des pluies bat son plein, et l’activité tourne au ralenti. A Ebodje, la vie semble mener son cours normal, même si, l’on craint le pire pour l’avenir.
En effet, la signature de la convention d’exploitation du minerai de fer des monts Mamelles, le 06 mai 2022, à Yaoundé, entre l’Etat du Cameroun et la filiale locale du géant Chinois des minerais, Sinosteel Corporation Limited, raisonne comme un coup de tonnerre pour les gardiens de la biodiversité sur place. « Nous ne voulons pas de ce projet », peut-on entendre crier sur toutes les lèvres. Ici, l’on croit dur comme fer que « l’Etat du Cameroun ne prend pas en compte les risques que subiront les écosystèmes », malgré les assurances données par le ministre des mines, Gabriel Dodo Ndoke, lors de la signature.
Au fil des années, la petite localité d’Ebodje a construit une économie verte basée sur l’écotourisme et la conservation des tortues marines qui viennent se reproduire sur ses plages. Denis Gnamaloba Mondjeli y a consacré toute une vie. Il est le coordonnateur de l’Ong, Tube Awu, qui œuvre dans ce domaine. Les plages d’Ebodje abritent quatre espèces de tortues marines (la tortue Luth, la tortue imbriquée, la tortue Olive Ridley et la tortue verte). D’après lui, « la tortue est identifiée comme un potentiel touristique phare qui permet à plusieurs familles de gagner leur pain quotidien à Ebodje » où le parcours du touriste est connu. « Quand il arrive, il séjourne dans des écolodges à 3000 frs la nuitée. On lui propose aussi des repas », fait savoir Denis Gnamaloba Mondjeli.
Exploitation minière périlleuse
Véritable refuge pour les tortues marines qui viennent couver leurs œufs sur ses plages chaque année, le village Ebodje est situé sur la vallée des Monts Mamelles, site qui devra abriter l’exploitation minière industrielle. L’écosystème favorable au mouvement des tortues pourrait disparaitre à la suite d’impacts provenant de cette exploitation. Nous avons pu répertorier sur le site safewater.org, les types de pollutions causées par l’extraction minière et, qui affectent la qualité de l’eau et l’environnement.
Les scenarios possibles à Ebodje comprennent au premier plan, le drainage rocheux acide. Celui-ci, se produit lorsque de grandes quantités de roches contenant du sulfure sont creusées dans des fosses ouvertes. Les roches réagissent alors avec l’eau et l’oxygène. L’acide se déplace hors des sites des mines grâce à l’eau de pluie ou le drainage et s’infiltre dans les cours d’eau et les eaux souterraines. Le drainage minier acide détruit sérieusement la qualité de l’eau et la vie aquatique.
La pollution par les produits chimiques fait également partie des dangers recensés. Ce type de pollution arrive quand les agents chimiques (cyanure ou acide sulfurique) sont utilisés pour séparer le minéral du minerai. Ces agents se déversent dans les étendues d’eaux voisines.
Enfin, l’érosion et la sédimentation peuvent tout aussi causer des déséquilibres dans les écosystèmes. La roche et le sol sont dérangés lors de la construction des routes, des fosses ouvertes et dans les déchets miniers. Sans prévention adéquate et sans contrôle, l’érosion du sol peut entrainer un déversement dans les cours d’eau, les rivières et les lacs. Le déversement excessif de sédiments peut bloquer des rivières, étouffer la végétation, détruire la faune, la flore et la vie aquatique avons-nous appris.
Aire protégée en sursis ?
Le 09 juillet 2021, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, signe un décret portant création du Parc National Marin Mayange na Elombo-Campo dans l’arrondissement de Campo, région du Sud. D’une superficie de 110.300 ha, cette aire protégée et sa zone tampon ont pour objectifs : de sauvegarder cette importante biodiversité côtière et marine ; limiter l’incursion des pécheurs industriels qui appauvrissent la mer en poissons ; protéger les zones de frayères et préserver certaines espèces halieutiques à l’exemple de la tortue marine, du lamantin d’Afrique et du dauphin à bosse ; contribuer à l’amélioration des revenus des populations et promouvoir les sources potentielles de revenus à travers le développement de l’écotourisme et la pêche artisanale durable.
Un an après, ces objectifs de développement durable qui cadrent avec le vécu quotidien des populations d’Ebodje semblent être foulés au pied par ceux-là mêmes qui les ont fixés. Albert Mbotto, acteur de la société civile, argue que les populations d’Ebodje en particulier, et celles de l’arrondissement de Campo en général, ne sont pas prêtes à avaler cette autre pilule amère. Affaire à suivre ...
Landry TSAGA, de retour d’Ebodje.