Le célèbre Ingénieur Jean Biangue Tinda, l'invité de Joël EYANGO ce dimanche à 8 h
Bonjour Mr Jean Biangue Tinda. Qui est donc cet ingénieur informaticien à vocation internationale ?
Bonjour Mr Eyango. Je suis un enfant de Batouri où j'ai vécu toute mon enfance bouclée par un BAC C avec mention et couronnée en 1990 par une bourse du gouvernement camerounais pour des études en électrotechnique en Allemagne. Études bouclées avec succès avant d'entamer une carrière assez atypique, puisque je vais d'abord travailler pendant 7 ans à mon propre compte et renforcer ma formation par la maîtrise technologique au service du marché. J´invente pendant cette période mon propre système CMS qui me permet de développer des solutions dynamiques sur Internet que je mettrai aussi au service de mon pays le Cameroun en lui offrant des puissants portail web comme camerounlink.com et camlions.com.
Vers 2007 je vais évoluer en mode hybride avec mon entreprise Biangue Networks mais aussi en intégrant tour à tour les leaders technologiques du Business Intelligence Qlik et Information Builders comme Architecte et consultant. Après plus de 10 ans dans ce domaine très avancé, je vais me tourner entièrement vers les technologies digitales et du Cloud avec l'optique de devenir un maître du savoir et des services dans ces technologies de pointe qui influencent le marché pour les 15 et 20 ans à venir. Pendant une année comme Consultant Senior chez le big 4 Deloitte j'actualise mon logiciel technologique dans des projets de pointe, et je rejoins un autre Big 4 PriceWhaterHouseCoopers (PWC) avec le poste de Manager Cloud & Digital qui me passe mieux et dans lequel je peux diriger et réaliser de grands projets technologiques de pointe et impacter dans le développement des services et de la technologie dans le monde. Je me sens à l'aise dans cette position qui me permet de faire face aux problèmes actuels les plus complexes dans les technologies digitales. C'est exactement à cet endroit et avec cette responsabilité que je voulais être. Toujours le plus proche possible du savoir le plus avancé.
Peut-on avoir une idée sur les multiples mutations en Informatique ?Le monde informatique est un monde en perpétuelle mutation. Tous les 5 ans le savoir change, de nouvelles technologies s'établissent, les méthodes et approches changent. Les technologies qui réussissent à s'adapter aux besoins de l'humanité s'imposent naturellement et parfois elles créent des dynamiques qui modifient l'ADN des services mais aussi même l'ADN des hommes et femmes. Rien n'est figé en informatique. Tout est dynamique et flexible. Parfois c'est l'homme qui donne la direction du changement, mais parfois aussi l'homme subit la volonté de changement imposée par la technologie. Mais en même temps l'informatique doit donner à l'être humain des solutions pour garantir sa stabilité et la stabilité de ses systèmes. C'est pourquoi nous portons la lourde responsabilité de bâtir des solutions, systèmes et plateformes qui suivent certaines règles qui garantissent le respect des concepts standards comme la sécurité, la gouvernance, les conformités et l'éthique. Nous matérialisons les règles par lesquelles le monde doit utiliser la technologie et parfois nous définissons ces règles que nous mettons à la disposition de la société et des états.
Il existe une gamme de nouvelles technologies qui frappent à la porte et qui veulent s'établir et s'imposer au monde : Le Cloud, Le Big Data, L'IoT , l'OT, L'IA, Le ML et l'Automation, La Robotique, etc ... Chacune veut s'établir sur le marché. Il faut identifier les services, les use cases et les réaliser pour le marché de manière efficace, stable et sécurisée.
La tendance actuelle vise à travailler étant sédentaire. Concrètement, peut-on se faire un travail et de l'argent sans travailler à travers le monde ?Vous avez raison, la tendance actuelle est de travailler en remote, c'est -à -dire à partir de sa maison. Ceci était déjà possible avant le COVID. Mais c'était réservé à une petite frange d'experts en informatique. Mais avec le COVID, l'ADN du monde du travail a été modifié en profondeur. Le COVID a forcé les entreprises et états à accélérer le home office pour faire survivre l'économie mondiale. Si de nos jours les choses semblent revenir à la normale dans plusieurs secteurs, dans les domaines technologiques et informatiques, le home office est resté une normalité. Et ceci représente une chance énorme et incroyable pour tous les informaticiens du monde entier. Avec les nouvelles méthodes et outils de travail dans les projets informatiques, des centaines de milliers de professionnels travaillent de nos jours dans des projets tous les jours sans se voir physiquement. Ils sont répartis à travers le monde mais restent tout aussi productifs. Les méthodes agiles et les techniques DevOps, DevSecOps ou SecDevOps permettent aux équipes d'être organisées et productives.
En conséquence, les informaticiens camerounais peuvent bien profiter de tout ceci s'ils maîtrisent ces outils et procédés. Ils peuvent travailler dans des projets internationaux en vivant au Cameroun et gagner à partir d'un million de CFA le mois sans quitter leur pays. Mais une étude que j´ai faite au Cameroun l'année dernière m'a montré que je ne pouvais pas utiliser un seul informaticien camerounais sortant des universités camerounaises dans les projets que je dirige en occident avec des équipes réparties dans le monde, en Europe, Europe de l´est, moyen orient, Asie et Afrique du nord. Le Cameroun produit des centaines de milliers d'informaticiens non utilisables par le marché international. Des cerveaux qui ne sont pas arrimés aux technologies recherchées par le marché. Une perte énorme pour des générations de camerounais. J'ai été très choqué de constater tout ceci.
Classiquement une opinion largement partagée, pense que l'informatique n'est qu'une affaire de ceux qui ont choisi la filière scientifique ?L'informatique est née de l'électrotechnique. On avait une spécialisation en Électrotechnique qui se concentrait sur les données. Et c'est cette branche qui s'est transformée en Informatique lorsque la révolution digitale a commencé. Les bases de l'informatique sont mathématiques. Un ingénieur en Informatique doit avoir une base scientifique parcequ´un ingénieur est un maître d'une science. Il doit maîtriser tous les contours de cette science jusqu'au niveau atomique et doit pouvoir bâtir des nouvelles sciences ou de nouvelles solutions sur la base des atomes de sa science. C'est ça qui fait un ingénieur. La conception des solutions et leur implémentation. L'ingénieur porte une lourde responsabilité dans la société. Il peut coûter des milliards de CFA à une entreprise ou un État s'il ne travaille pas bien.
Cependant, il y a des formations qui se sont développées au fur et mesure que les domaines informatiques ont vu le jour. Par exemple, la digitalisation, le web, le Data et le marketing digital ont apporté plusieurs nouveaux métiers qui proposent aussi des formations. Par exemple, pour faire du marketing digital, vous n'avez pas besoin d'être un informaticien. Ni pour faire du UX Design ou UX Expérience design. Vous pouvez venir dans d'autres domaines et vous former dans ces métiers et bien gagner vos vies.
Peut-on avoir une idée de ce que le littéraire, l'historien par exemple, gagnerait à se former en Informatique ?L'informatique étant établi de nos jours dans tous les domaines de la vie sociétale et professionnelle, il existe de plus en plus de solutions spécialisées qui sont développées pour chaque domaine. Par exemple, la géomatique est une science qui conjugue le domaine géographique et l'informatique. Même chose dans le domaine de la santé ou les spécialistes de santé sont formés dans la maîtrise des appareils et logiciels informatiques qui accompagnent leur travail. L'historien peut utiliser l'informatique pour la recherche et la datation. En général, si vous réussissez à identifier la formation exacte qu´il vous faut en informatique pour enrichir votre domaine de compétence, vous sortez après votre formation et stage pratique avec un plus qui va vous mettre en avantage par rapport aux autres et vous faire avancer rapidement dans votre carrière ou alors vous permettre de travailler avec le monde entier.
Lors de votre dernier séjour au Cameroun, vous aviez organisé des rencontres avec les étudiants Camerounais, où en est-on aujourd'hui ?Comme je l'ai dit plus haut, j'ai été révolté et déçu de voir comment des centaines de milliers d'étudiants et professionnels camerounais sont formés loin des besoins réels du marché. Comme je l'ai dit, on ne peut utiliser aucun étudiant camerounais qui sort de nos universités dans un projet international. C'est vraiment la catastrophe, surtout quand vous savez combien ça coûte par an d'envoyer un enfant faire des études en informatique.
L'orientation professionnelle n'existe pas. Ils ne savent même pas quels sont les métiers les plus recherchés dans le monde et les salaires qui les attendent. J'ai utilisé mes vacances pour réaliser des séances d'orientations professionnelles avec certains établissements. J'ai eu une session remote à Bangangte, j'étais en présentiel à Belabo, J'ai fait une courte présentation à l'université de Bertoua. J'ai tenté d'organiser des séances d'orientations professionnelles avec des universités à Yaoundé et Douala. Mais tous n'ont pas pu saisir cette occasion unique d'avoir un professionnel comme moi pour édifier et orienter leurs étudiants. Je dois avouer que je suis vraiment surpris de l'attitude de nos responsables universitaires. Comment peut-on avoir une aubaine comme celle-là d'avoir l'un des plus grands professionnels camerounais dans le monde de la technologie qui veut aider gratuitement nos enfants, et ils attendent encore que je coure vers eux pour les prier d'aider nos enfants ? C'est bizarre non ?
Mais je n'ai pas baissé les bras et j'ai tout de même utilisé les réseaux sociaux pour rassembler les étudiants et professionnels qui ont compris de quoi il s'agit et je suis actuellement en train de former une trentaine de camerounais dans les méthodes et sciences les plus avancées. Je leur montre les mêmes outils et méthodes qui sont utilisés par les entreprises dans le monde entier. C'est une formation qui va durer trois mois. Je sacrifie mes weekends pour cela parce que c'est important.
Ne me demandez surtout pas de parler de nos dirigeants et institutions. Comment au sommet de l'etat peuvent-ils laisser ce chaos se mettre en place et des générations d'étudiants qui ne vont servir à rien ? Je ne peux répondre à cette question. Mais je sais que notre état va chercher les étrangers pour résoudre leurs problèmes informatiques et technologiques. Et pourtant, ils savent très bien que des gens comme moi existent. C'est à dire des camerounais qui sont maîtres de ces technologies et qui dirigent des projets dans les pays occidentaux qui sont plus complexes que les projets que ces mêmes pays occidentaux viennent faire chez nous.
Pour bien comprendre, tu as des enfants qui sont les maîtres de ceux que tu vas chercher comme tes maîtres de la technologie pour résoudre tes problèmes, mais tu ne cherches pas tes propres enfants pour t'aider à le faire. Vous comprenez vous-mêmes leur logique de fonctionnement ? Je n'y comprends rien. Je suis en mesure de bâtir une Silicon Valley au Cameroun avec tout le savoir que j'ai emmagasiné en Occident et je suis en mesure de révolutionner le monde informatique et digital de notre pays et de rendre notre pays leader dans le monde. Si j'en ai les moyens. Mais pour cela il faut des gens visionnaires au sommet de notre pays pour comprendre ce que des gens comme moi représentent comme chance pour nos peuples.
Un vrai dirigeant visionnaire viendrait tout simplement me voir et me demander : Mr Biangue, De quoi et combien avez-vous besoin pour transformer nos services et arrimer nos populations pour développer une économie compétitive ? Mais comme personne ne vient, je fais ce que je peux à mon niveau pour aider nos jeunes et je profite tout simplement de mes vacances au bercail pour me reposer en famille. Ça fait mal, mais je ne peux pas faire autrement.
Pensez-vous que l'avenir de la Région de l'Est passe aussi par l'informatique ?La région de l'Est est une région bénie. Elle a un potentiel énorme et elle a besoin d'une population instruite et qualifiée pour se développer. Il manque énormément de personnel qualifié dans notre région. Les mairies et les entreprises en souffrent. Il y a tellement de savoir-faire que l'on peut donner à nos enfants qui peuvent les rendre prospères mais aussi importants pour le développement. Déjà uniquement au niveau des transformations digitales et migrations technologiques on peut créer des milliers d'emplois et propulser notre région comme leader de la technologie au Cameroun.
Lorsque vous entrez dans les bureaux au Cameroun, vous comprenez très vite que tout le pays vit encore à un autre âge technologique. Le bureau de travail du 21ième siècle n'a plus de papiers sur les tables. Et ce ne sont pas des dépenses impossibles. Un projet de digitation d'un service n'est pas un budget martien. C'est un budget qui peut bien être financé par nos états et nos régions. Alors pourquoi vivons-nous à l’âge de la pierre taillée en technologie alors que nous pouvons moderniser le pays et que l'argent pour le faire ne manque pas ? Nous pouvons révolutionner l'économie de notre région avec les technologies informatiques.
Quels sont vos différents projets, afin de promouvoir l'informatique à L'Est et au Cameroun ?A Batouri, j'ai été au côté du maire dynamique, Mr Auberlin Mbelessa pour lancer la première phase de la transformation digitale de la commune. Ceci s'est matérialisé par la création du site internet communedebatouri.com et la digitalisation de la communication officielle de la commune. Mais il y a encore beaucoup à faire dans la transformation digitale. A Batouri nous avons réalisé 15% de ce qui est possible. Plus la modernisation de la commune avance, plus les opportunités se créent et plus l'économie locale se modernise et se transforme. De nouveaux services vont naître, de nouvelles formations vont naître, de nouveaux métiers vont naître. La formule de la réussite est l'osmose entre la volonté de fer des dirigeants régionaux et communaux, la disponibilité des financements et l'intégration des enfants de la région qui maîtrisent les technologies et les services à travers le pays et le monde entier. Ce que j'ai pu réaliser avec mon équipe et la commune de Batouri prouve que ça fonctionne bel et bien lorsque ces trois éléments se mettent ensemble.
Nous avons aussi dans le cadre des réalisations de notre entreprise Camerounlink Médias mis en exploitation le plus grand web régional www.bertoua.info qui couvre tous les départements de la région de l'est et remonte vers le monde digital les activités locales des populations et des institutions. Ce site bertoua.info est l'un des sites web de la ceinture digitale que nous avons bâtie pour tout le Cameroun. Nous avons offert à chaque région du Cameroun un portail web régional. Vous avez ainsi, www.ongola.info, www.duala.info, www.bafoussam.info, www.garoua.info, www.maroua.info, www.ebolowa.info, www.ngaoundere.info, www.kribi-info.com, www.grandmbam.info. Et bien avant ces portails web, nous avons offert au Cameroun, l'un de ses plus grands portails web www.camerounlink.com. Ces œuvres sont d'utilité publique et doivent servir à la digitalisation de l'information régionale pour la rendre disponible sur le plan national et international. Et en réalisant ceci, nous voulons aider nos régions à exister dans le monde et profiter de nouvelles opportunités économiques et des affaires qui peuvent venir de potentiels partenaires dans le monde. Le challenge est de faire comprendre toutes ces opportunités à nos dirigeants et cadres et à les faire intégrer ces principes dans leur communication institutionnelle. Dès lors, ils pourront en tirer profit.
Je vis depuis longtemps en occident, mais je suis toujours resté attaché à mon pays pour lequel je travaille aussi d'une manière ou d'une autre tous les jours depuis plus de 25 ans. Juste par patriotisme et amour pour le pays. Je souhaite que la paix revienne dans notre pays car nous avons un pays extrêmement riche et ce n'est que dans la paix que nous pourrons survivre et prospérer. Les ennemis du Cameroun réfléchissent tous les jours pour savoir comment ils peuvent reprendre entièrement le contrôle du pays. Surtout pendant cette période de transition capitale pour notre pays. Allons-nous retomber sous le contrôle de nos anciens colons ou allons-nous préserver notre autonomie de décision acquise après la fin des accords coloniaux.
La première voie ne peut pas être une option pour le Cameroun. Mais c'est la voie qui nous menace le plus actuellement si nous ne faisons pas attention. Un agent guidé de l'extérieur peut se retrouver à la tête du pays après le président Biya et remettre le pays dans le giron colonial pour consolider son pouvoir. Je souhaite que le président Biya soit encore suffisamment fort pour garder la main et réussir sa transition en nous laissant un patriote capable de conserver notre indépendance et protéger nos populations et nos terres rares que tout le monde entier convoite. Nos richesses sont notre plus grand danger. Des guerres peuvent être créées dans notre pays pour y installer le chaos qui permettra à la Mafia internationale de prendre le contrôle de nos ressources. Nous devons être intelligents et sages sinon personne ne pourra profiter de ce pays en dehors des multinationales.
Par Joel EYANGO depuis Bertoua - Cameroun.