Comment la FIFA "nargue" les dirigeants
Le football est un sport populaire, de notoriété mondiale, qui génère d’énormes flux financiers. Grâce aux impôts et aux différentes taxes qu’ils prélèvent, les États participent à l’essor de cette discipline par la construction de stades, le soutien aux équipes nationales, l’encadrement de petites formations...
L’organisation chargée de gérer et de développer le football au niveau international est connue : c’est la Fédération internationale de football association (Fifa). Bien qu’elle soit officiellement une association à but non lucratif, cette organisation brasse des sommes astronomiques. Elle a été érigée en une structure internationale indépendante des gouvernements, un peu à l’image des banques centrales, même si les missions de ces dernières sont sans commune mesure avec celles de la Fifa. L’organisation en charge du football gère une activité ludique tandis que les banques centrales veillent sur un bien commun essentiel : la monnaie.
Narguer les dirigeants
La Fifa avait annoncé s’attendre à des revenus de 7,25 milliards d’euros (4 756 milliards de F CFA) sur les quatre dernières années et après la Coupe du monde au Qatar. Le bénéfice net atteindrait ainsi 967 millions d’euros (634 milliards de F CFA). Sur ce montant, quelque 290 millions d’euros (190 milliards de F CFA) seraient destinés à soutenir financièrement les fédérations après la pandémie de coronavirus. Rappelons qu’en 2015, une enquête lancée par le département de la Justice des États-Unis pour des faits de corruption avait donné lieu à un grand scandale, lequel avait précipité le départ d’une partie des dirigeants de la Fifa.
L’on ne saurait non plus oublier les problèmes de gouvernance identifiés au sein des confédérations continentales et des associations nationales. La Fifa, de même que ses démembrements, semble narguer les gouvernements représentatifs des peuples qui, apparemment, se laissent dépasser par les enjeux. Au regard du contexte international, qui se caractérise par une croissance mondiale en berne et une pauvreté de plus en plus accentuée, il n’est plus acceptable qu’un petit groupe de personnes gère les énormes deniers du football mondial et se croie tout permis.
Les réformes que nous préconisons sont de plusieurs ordres. D’abord, il faut remettre les États en selle. Ce qui implique de leur redonner du pouvoir face à la Fifa, notamment en redéfinissant des périmètres dans lesquels ils exercent un contrôle démocratique sur la fédération ainsi que sur ses différents satellites. Il faut donc au préalable s’interroger sur la légitimité ou pas de la Fifa, association à but non lucratif, à réaliser des bénéfices.
États actionnaires
Créée il y a plus d’une centaine d’années dans un contexte totalement différent marqué par la complexité des problèmes contemporains, la Fifa devrait faire évoluer son statut juridique, de même que ses procédures et règles d’intervention. Passer du statut d’association à celui d’établissement public international doté d’une personnalité morale ne serait pas une hérésie.
"LES PRIMES GAGNÉES À L’INTERNATIONAL, POUR DES RAISONS D’ÉQUITÉ, GAGNERAIENT À ÊTRE REVERSÉES DANS LES BUDGETS NATIONAUX"
Cette mutation permettrait ainsi de lui fixer un capital social et d’amener les différents États membres de la Fifa à en devenir les actionnaires tout en participant à la bonne marche des organes sociaux. Ces derniers pourraient être structurés en un Conseil d’administration – qui se tiendrait trimestriellement – composé de hauts experts nationaux du football, et en un Conseil des gouverneurs – semestriel – représenté par les ministres en charge des Sports. Un peu à l’image des organismes de Bretton Woods : Banque mondiale et FMI.
Réformer la Fifa requiert également une certaine transparence de la part des fédérations nationales. Dans des pays où une grande partie de la population vit avec moins d’un dollar par jour, il est normal que l’État s’érige en garant de la probité des équipes dirigeantes nommées au sein des fédérations nationales. Il revient évidemment à ces États de définir les politiques sportives, de gérer les budgets afférents, notamment ceux qui concernent leur participation aux compétitions internationales. En revanche, les primes gagnées à l’international, pour des raisons d’équité, gagneraient à être reversées dans les budgets nationaux afin de garantir leur bonne utilisation et une meilleure répartition de cette richesse au sein de la population.
Charte éthique et volonté politique
Professionnaliser la gouvernance de l’institution constitue également l’une des mesures à envisager dans le cadre de la réforme que nous préconisons. Cela pourrait passer par la limitation du mandat du président de la Fifa et de ses principaux collaborateurs à cinq ans, renouvelable une fois. Il faudrait alors nommer de véritables gestionnaires plutôt que de privilégier le « cooptage » d’anciens footballeurs sans compétences managériales.
Il conviendrait aussi de rendre publics les émoluments des dirigeants, d’assurer un double contrôle des activités de l’organisation au travers d’au moins deux cabinets internationaux choisis par les Nations unies. Il est important que les États membres arrivent à imposer à la Fifa une charte éthique et un système de reporting régulier afin de leur permettre de mieux suivre l’évolution des activités de l’organisation.
Cette réforme serait incomplète si elle ne prévoyait pas un volet social. Il s’agirait, par exemple, pour la Fifa, d’allonger la liste des bénéficiaires des retombées de l’activité footballistique. On peut très bien imaginer que la Fifa consacre 20 % de ses bénéfices au soutien de la cause des enfants et des handicapés.
Pour que ces réformes puissent voir le jour, il faut une volonté politique, dans la mesure où la Fifa semble être a priori un « mammouth » difficilement manœuvrable qui a toujours vécu dans le confort et qui cristallise aujourd’hui les intérêts de grandes firmes multinationales. Réputés pour ne pas transiger avec les règles de bonne gouvernance, les États-Unis pourraient se poser en maître d’ouvrage de ce gigantesque chantier.