Ibrahim Lindou : « Le CADES Bangui 2024 connaîtra une mobilisation tous azimuts des acteurs des politiques publiques en matière de développement de l’économie numérique…»

INTERVIEW. Ce qui motive l’organisation du Central African digital economy summit (Cades) 2024 en terre centrafricaine du 22 au 24 juin à Bangui. C’est avec le commissaire général.

Quels sont les enjeux de ce sommet pour la République centrafricaine en particulier et la zone CEMAC-CEEAC en général ?

Je voudrais tout d’abord vous remercier pour tout l’intérêt que vous portez à cet évènement d’envergure international. Le Central Africa Digital Economy Summit entendu CADES Bangui 2024 sera à sa première édition en zone CEMAC-CEEAC. Il s’agira bien évidement de faire de la capitale Centrafricaine, Bangui, le hub laboratoire de tous les débats et les échanges sur les problématiques liées au développement de l’économie numérique, mieux encore, la transformation structurale de l’Afrique Centrale en smart zone.

La Centrafrique se trouve être aujourd’hui le petit poucet de la sous-région Afrique centrale qui a su rattraper son retard. Après avoir pris sur elle, les devants de la scène sur les questions de crypto monnaie ou Bitcoin avec le lancement de la première monnaie digitale en Afrique, le SangoCoin. Ce lancement avait d’ailleurs soulevé, vous vous souvenez, une onde de polémiques au sein de l’opinion internationale.

Face à la problématique de l’avenir du francs CFA et des questions d’une nouvelle monnaie en zone CFA, on a donc vu ce pays au potentiel immense prendre véritablement le leadership en matière de monétique digitale. Aujourd’hui et vous le savez sans doute, la Centrafrique a pu grâce au Sango mettre sur pied des alternatives pour lever des fonds et booster son PIB dans un environnement où la banque centrale, la BEAC, tente encore de rester sur ses gardes face au Bitcoin ou au crypto monnaie alors même que les pays africains devraient au même titre que l’Afrique de Sud rallier les BRICS, une espèce d’alternative du nouveau pacte financier mondial. Un sujet qui va occuper une place fondamentale au cours des débats de la conférence de haut niveau du sommet sur l’économie numérique de Bangui.

A côté de cette réforme sur le Sango, le Président Centrafricain, le professeur Archange Faustin Touadéra a promulgué en quelques mois près de 20 lois qui encadrent le dispositif règlementaire et législatif de l’économie numérique. La dernière loi promulguée ici est celle relative à la cybercriminalité et cyber sécurité. Vous comprenez aisément que ce pays dont on ne devrait pas forcément envier les avancées technologiques en matière de digitalisation semble bien nous apprendre des choses. Bien plus a considérablement pris de l’avance sur les autres acteurs de la sous-région.

La Centrafrique vient de mettre sur pied un Plan National de Développement du Numérique. Un document cadre de la stratégie nationale de digitalisation du pays. Le CADES devrait donc permettre, par ses articulations, de mieux peaufiner la stratégie sous-régionale de développement du numérique de manière à mettre de véritables balises de la transformation digitale de l’Afrique Centrale face aux exigences de la convergence technologique mondiale.

Les États de la CEMAC appréhendent-ils ces enjeux ? Si oui, quel est le niveau d’implication des uns et des autres à l’organisation de ce sommet ?

Le CADES Bangui 2024 connaitra une mobilisation tous azimuts des acteurs des politiques publiques en matière de développement de l’économie numérique, des agences de développement du digital, des fournisseurs d’accès, des constructeurs de réseau, des distributeurs, des régulateurs, des organismes internationaux. Ce qui n’est pas surprenant. Car les problématiques sont d’autant transversales qu’il faudrait, à notre avis, faire le voyage de Bangui afin de discuter et de comprendre comment les autres espaces économiques font du numérique la nouvelle source d’énergie.

Aujourd’hui, le marché de l’économie numérique est un enjeu fondamental dans le Monde. Chacun de nous utilise un support des télécommunications électroniques dont le principal outil est le téléphone mobile. Cet outil qui ne sert plus simplement à répondre par la voix ou un message écrit. Le téléphone est devenu notre porte-monnaie électronique, notre agenda, notre vie. Il est préférable, pour les usagers, de perdre de l’argent que de perdre un téléphone car la valeur abstraite se résumer souvent au contenu du portable, notre véritable « patron » tout simplement.

Si vous voyez par exemple, une compagnie nationale camerounaise comme CAMTEL a fait de la fibre optique une véritable source de richesses. Autant de sujets qui ont poussé de nombreux participants à s’inscrire au premier rang duquel nous aurons les délégations des pays d’Afrique Centrale, les universitaires, les experts, les opérateurs, les banques, les sociétés de bourses et les organisations internationales à l’instar de la Commission CEMAC, la BAD, les BRICS, les bailleurs de fonds, la Cosumaf, l’UA, la Commission CEAC, l’Union Internationale des Télécommunications, l’AFD, la BDEAC, l’Union Européenne et bien évidement les Start Uppeurs. 

En République centrafricaine, la qualité de service des télécommunications reste globalement mauvaise. Est-ce qu’on peut déjà parler de développement d’une véritable économie numérique dans ce pays ?

La Centrafricaine ambitionne de devenir le hub Afrique Centrale du numérique. Ici on parle même déjà de « smart city ». Comme je le disais plus haut, le petit poucet du digital de la sous-région Afrique centrale a pu rattraper son retard. Il a même fait des grands bons en avant. A tel point qu’on devrait, grâce à son vaste programme de développement de la fibre optique 2024, parvenir à un taux de couverture nationale de l’ordre de 70%, selon les autorités centrafricaines.

C’est d’ailleurs en janvier dernier que le Chef de l’État Centrafricain procédait au lancement de la fibre optique à haut débit grâce au partenariat avec l’opérateur camerounais des infrastructures du numérique, Camtel. Il s’agit aussi de noter que les pays d’Afrique Centrale au même titre que ceux du continent connaissent également les mêmes difficultés d’accès à la connexion. Tout récemment encore les médias parlaient de la rupture du câble sous-marin en haute mer qui avait résolument déconnecté plusieurs pays en Afrique. Le défi de la connexion à haut débit reste grand.

Les solutions sont aussi à débattre. Car aujourd’hui, il semble évident que les questions de mutualisation des énergies permettraient à l’Afrique de réduire sa fracture numérique. Les questions de qualité et de quantité et même des prix, de régulation et de cybercriminalité restent communes à tous les pays. La technologie est tellement dynamique qu’il faille prendre le taureau par les cornes afin de rester dans le village planétaire et éviter d’être en marge de la civilisation. 

D’un point de vue global, les pays de la CEMAC restent très dépendants des câbles à fibre optique qui traversent des continents via la mer, avec leur corollaire de pannes à répétition. Est-ce qu’il n’est pas temps de développer le satellite d’Afrique centrale ?

Tout à fait. Je partage entièrement votre avis. Et c’est d’ailleurs le projet SATCOM qui avait mis en vitrine. Et cette migration technologique avait été déjà pensé par le feu président Lybien Mouamar El Kadaffi. Des études montrent d’ailleurs qu’un satellite pourraient rapporte à un pays plus 1 000 milliards par mois, loin des recettes issues des sources minières tel que le pétrole. Aujourd’hui, l’infrastructure du numérique devient une véritable alternative pour les économies.

Quand vous observer la guère technologique entre l’opérateur américain Facebook et le géant chinois Tic Toc ou encore entre Androïd et PlayStore, vous comprenez aisément que le marché du numérique commence à peine. Aujourd’hui, le Sénégal est un vaste projet de Satellite Sénégalais grâce au partenariat avec l’américain X Space. Une entreprise qui du reste permet aux pays pauvres de se connecter directement sur son satellite grâce au Kit Star Link qui prend progressivement de l’envol sur le marché de l’accès à la connexion satellitaire. C’est en cela qu’il est nécessaire que l’Afrique se projette dans les enjeux du futur. Je parlerai même de la guerre de l’intelligence artificielle est déjà là et qui va se poursuivre. Aujourd’hui, le logiciel économique des pays émergents doit muter. La conquête de l’espace compte. Désormais avant de regarder les retombées du pétrole, de l’or, des mines ou encore du gaz, il faudrait d’abord aller chercher du côté des infrastructures du numérique, nouvelle source des revenus.

Les besoins en investissements dans l’économie numérique sont-ils au-dessus des moyens des États de la CEMAC?

D’un point de vue structurel, oui. Mais vous savez bien qu’il s’agit parfois d’une volonté politique. Le Rwanda nous montre bien l’exemple d’un pays digital et qu’on peut transformer un pays en « smart country » avec juste une bonne vision et une meilleure approche du sujet. Quand vous regardez le budget de construction des routes et autoroutes de certains pays et bien d’autres programmes et projets dans nos pays ou des chantiers des CAN budgétivores, vous comprenez bien qu’on fait des choix politiques.

Dans le domaine de la téléphonie mobile qui est un secteur porteur, vous voyez bien le nombre d’opérateurs qui se bousculent à la recherche des licences d’exploitation dans nos pays. Récemment même encore l’Agence de Régulation des Télécommunications du Cameroun avait publié une liste des pénalités liées aux redevances et amendes chez les opérateurs avec des chiffres qui démontrent bien à suffisance que le secteur des télécommunications électroniques est bel et bien porteur, juteux. Et si c’est le cas on peut envisager des opérations de partenariat public-privé en direction des privés qui peuvent apporter des solutions aux problématiques liées à la construction et au développement des infrastructures de l’économie numérique.

Justement pouvez-vous nous en dire plus sur les différentes articulations du Digital Summit Bangui 2024?

Le CADES Bangui 2024 est placé sous le Très Haut Patronage de la République Centrafricaine et bénéficie du parrainage du ministère centrafricain en charge de l’économie, du plan et de la coopération. Il encadre par les soins du ministère de l’économie numérique, des postes et télécommunications. Outre le Salon Expo numérique et le book launch des ouvrages de recherche du Professeur Kelly Mua Kingsley, le Digital Summit CADES Bangui 24 sera organisé autour de 08 panels de débats interactifs en mode vidéoconférence et en présentiel sur les problématiques transversales :  le développement de l’économie numérique, l’accélération des infrastructures du numérique, l’interconnexion en Afrique centrale, le DATA Center Intelligent , la co-régulation, la cybercriminalité, les services financiers mobiles, la crypto monnaie, le e-government, le e-services, le numérique panafricain et la problématique de la souveraineté du numérique de l’Afrique. En marge du CADES, il sera organisé un concours des meilleurs Start Uppeurs d’Afrique Centrale. De même qu’il est envisagé la remise d’un prix spécial du comité scientifique au Président de la République Centrafricaine, S.E Faustin Archange Touadéra, président en exercice de la CEMAC.

Quelles sont vos attentes au terme du Digital Summit Bangui 2024?

Nous attendons du CADES Bangui 2024, une grande mobilisation des acteurs afin de peaufiner une stratégie Afrique Centrale du développement du numérique sous le prisme de la diplomatie du numérique. Aujourd’hui, il est urgent que les États se parlent afin de mutualiser dans une approche communautaire les problèmes de convergences technologiques. Autant on doit pouvoir apporter des solutions aux populations en matière de santé pour tous, d’éducation, de sécurité, de lutte contre la pauvreté, de l’enjeu du bien-être mais il faut également démocratiser l’accès à la connexion haut débit de manière à permettre aux populations de rester connecter à la civilisation mondiale malgré les distances. Et pourquoi pas un satellite en Afrique Centrale, un Data Center Intelligent sous-regional, des centres d’incubation, des usines du numérique…etc. Voilà autant de sujets qui seront débattus lors du digital Summit Cades Bangui 2024. Mais au-delà de tout, il sera question de débattre sur la problématique fondamentale de la souveraineté numérique de l’Afrique.

Avec Oubangui médias

Suivez nous