Cameroun - Dépigmentation : L'aveu d'impuissance de Malachie Manaouda
Le Ministre a d'abord dit qu'il n'y a pas que les Noirs qui sont confrontés à la question, que les Blancs aussi veulent devenir Noirs (...) Tagne lui souffle que c'est bronzage ça s'appelle, il insiste que non, il y en a qui veulent vraiment devenir Noirs...
Il dit finalement que le sujet est préoccupant, il en appelle aux sociologues, aux psychologues et anthropologues, pour nous aider à construire le type de personnes qu'on doit être, en un mot l'identité qui pourrait être la nôtre en vue de définir et d'encadrer le type de société que nous voulons...
Le sujet est effectivement préoccupant !
On peut trouver à redire, c'est sa position d'homme, mais on ne va pas oublier qu'il est ministre de la santé d'un gouvernement qui est sensé justement définir, entretenir et encadrer le projet civilisationnel Cameroun, s'il y en a un. Lorsqu'il dit qu'on doit s'en remettre à nos intellectuels qui s'abreuvent eux-mêmes à un Ndjansang épistémologique, surtout que le politique les instrumentalise à souhait, on peut conclure qu'on ne sait même pas où on part, et que le phénomène d'acculturation global a de beaux jours devant lui.
Ne sommes-nous pas une société extravertie en presque tout?
Si, pour meubler nos espaces, nous soigner, nous lier à Dieu, créer ou inventer les conditions de notre épanouissement on se confie au Blanc, pourquoi ne pas lui demander de nous débarrasser de cette "récalcitrante" peau noire?
Maintenant on sanctionne Fotsing et c'est utile de le rappeler, le Ministre a commencé à essayer de faire appliquer la législation sur les aspects liés à la protection de la santé depuis 2019, et les produits cosmétiques en faisaient partie. Ce n'est donc point une cabale contre Nouriskha. Mais ça ne règle pas la question.
Le mal est plus profond. Le combat pour la conservation des Valeurs Noires est très mal en point. L'essai de Fanon (Peau Noire, Masque Blanc), tentative psychosociale de décrire et de poser notre rapport à la dynamique blanche, en terme de prolongement de traumatismes, et de recherche de solutions, ne nous sert qu'à meubler nos discours intelligents.
Dans la pratique le Camerounais semble ne pas savoir qui il est, il ne veut pas qu'on lui dise quelle direction prendre parce qu'il croit dur comme fer que la question du bonheur d'un peuple est une affaire de libre arbitre. Une affaire personnelle. Le "les gens sont libres de faire ce qui les chante" est très en déphasage avec les textes qui consacrent la démocratie dans son application au sein de nos environnements africains, tout comme le libre-marché sans un contrôle parce que, manifestement, il n'y a aucune boussole, on va dire civilisationnelle.
Pourquoi on va interdire à quelqu'un qui fait le Djansang de disposer de la couleur de sa peau quand il sait (ou ne sait pas) que ces substances peuvent avoir des conséquences irréversibles sur la peau, la procréation, les après opérations chirurgicales, la santé ? On procède comme avec les cigarettes non?
Sur le temps, qui est le gagnant ? N'est-ce pas les firmes industrielles qui pensèrent en premier, qu'il fallait blanchir le Noir pour qu'il fut acceptable à leur yeux?
Est-ce au citoyen de décider de cette question du type de produits qui rentrent dans ses usages de consommation dans un contexte géostratégique qui privilégie le bluff et les intimidations consuméristes ?
Manifestement non. Mais pourquoi cette question devient une potentialité dans le choix qui s'offre au simple mortel en Afrique ?
C'est parce que nos populations sont exposées à des contenus informationnels qui les influencent dans l'adoption des canons de beauté, des manières de faire qui sont occidentalo-centrées. l'Afrique elle-même ne sait peut-être plus ce que furent ses valeurs.
Un test imparable que je fais passer lors de la présentation du projet professionnel ou lors des entretiens d'embauche nous a confortés dans l'idée que nous ne nous aimons pas, du moins, on a un véritable problème avec la peau noire et l'environnement culturel qui l'héberge.
Le/la candidat (e) est amené(e) à parler en sa langue maternelle, à présenter celui ou celle qui l'accompagne, à décrire le standard de beauté, de coiffure, d'habillement, de goût pour des activités diverses ; la tendance dégagée est que nous sommes devenus où nous sommes entrain de devenir des peaux blanches dans un masque pas tout à fait Blanc...
Comment un peuple peut-il se détester autant et vouloir ressembler à tous les autres sauf à lui-même ?
Le Ministre représente cette élite là qui refuse d'engager les questions de fond. Pourtant, les peuples qui semblent stables aujourd'hui ont traduit l'exception culturelle dans leur (s) modèle (s) de développement. Et ces modèles de développement ne peuvent pas entretenir avec autant de légèreté tout projet d'aliénation dans la conception de leur civilisation.
Les contenus pédagogiques sont choisis en fonction de leurs visions, la recherche scientifique et génétique produit des contenus en phase avec les besoins spécifiques de ces peuples (espèces bovines, semences améliorées, cosmétique, fibres textiles, films et séries)
Nous on se spécialise dans les importations de la civilisation des autres et on s'étonne que certains veuille accélérer l'assimilation même à distance, en faisant au passage des bénéfices. C'est à croire que certains auraient vendu les nôtres pour l'esclavage.
L'action attendue du Ministre ne pourra pas avoir d'effets significatifs. Le peuple est déjà engagé dans les usages de consommation. Les lois du commerce dans lesquelles on a engagé notre signature nous tiennent. Certaines contournent notre volonté de rester authentiques.
Le Blanc nous méprise tellement que la solution que le nègre de maison a trouvé est de devenir Blanc, peut-être qu'il nous acceptera cette fois là...
La démocratie à l'Occidentale est-elle le modèle qu'il nous faut?
Ekani Ottou
Psychologue social