PORTRAIT. Jeanne Laure MFUT : plus de 15 ans au contact des morts

Officiellement thanatopraxienne depuis l’âge de 22 ans, celle qui est passionnée de l’entretien et la conservation des dépouilles depuis son adolescence, en a fait le métier de sa vie, malgré de nombreux préjugés.

PORTRAIT. Jeanne Laure MFUT : plus de 15 ans au contact des morts

Assise au Secrétariat du bureau du Major du Service de Thanatopraxie, Jeanne Laure MFUT s’occupe des familles venues remplir les formalités pour le retrait des corps de leurs proches. Elle veille à la satisfaction des membres de ces familles éplorées, conseille, oriente, en cas de besoin. À cette heure de la journée (13h), ce mercredi, 27 mars 2024, les formalités de retrait des corps du jeudi et du vendredi, ont déjà été presque toutes effectuées. Tout s’est passé dans l’ordre. Et le reste de la journée s’annonce calme. 

Mais Jeanne Laure n’effectue pas que ces formalités administratives. Elle est thanatopraxienne depuis plus d’une quinzaine d’année. Elle n’avait alors que 22 ans, lorsqu’elle décide de s'engager dans le métier qui l’a toujours fait rêver, bien que son choix ne soit pas aimé de tous. L’annonce de sa décision à sa famille fera beaucoup de mécontents. Mais, elle est soutenue par deux de ses frères, tous deux médecins, dont l’un dans l’armée.

Son rêve d’enfant peut alors commencer à se réaliser. «J’ai grandi au village. À mes 12-13 ans, je voyais mes parents, ainsi que les voisins du quartier, laver les corps et les conserver de manière traditionnelle, pendant au moins trois jours, avant l’inhumation. Il n’y avait pas de morgue. Cela me passionnait. J’aimais les voir faire. Progressivement, je me formais. J’étais présente chaque fois qu’il fallait conserver un corps. Et je me suis promise, un jour, de laver également les corps», note-t-elle. 

Dix ans plus tard, alors âgée de 22 ans, après avoir arrêté ses études en classe de 3ème, faute de moyens et mère d’un enfant, Jeanne Laure prend le bus pour Douala. Une fois sur place, elle se rend à la morgue de l’hôpital de région N°2 de Douala (Garnison militaire).
«J’ai rencontré le Major, et lui ai fait part de mon désir de travailler à la morgue. Il a été surpris par mon courage et m’a conduit vers le Colonel qui dirigeait l’hôpital. Après notre entretien, j’ai commencé un stage de formation à la morgue de cet hôpital. Au terme du stage, j’ai obtenu un certificat d’aptitude de thanatopraxienne. Lorsqu’il fallait aller porter les corps sur les brancards, j’y allais avec les hommes et on portait. Ma détermination, ma force et mon courage ont fait que je sois très vite retenue dans l’effectif», se réjouit celle qui est aujourd’hui mère de trois enfants. 

À l’hôpital militaire de Douala, elle travaille 5 ans, avant de rejoindre l’hôpital Laquintinie en septembre 2012. Ici, le travail se fait, soit à travers la garde (17h30-7h30), soit par permanence (7h30-17h30). Les jeudis et vendredis sont les jours où l’affluence atteint son pic, avec parfois, une quarantaine de corps à lever en un seul jour. Pourtant, au fil du temps, Jeanne Laure a ajouté une corde à son arc, en faisant la soudure des cercueils. 

À son actif, plusieurs centaines de corps déjà lavés en 15 ans de métier. Les corps des enfants sont ceux qui l’ont le plus marqué. Mais, également celui d’un homme veuf, père d’enfants en bas âge, arraché à la vie par un coup de poignard de brigands qui se sont emparés de sa moto. Son cœur de mère n’a pu s’empêcher de penser à ces enfants à jamais orphelins. 

Pour cette trentenaire, travailler à la morgue est un métier comme les autres. Cependant, cela nécessite une force mentale au regard des préjugés et du mythe qui entoure la mort. «Pour faire ce travail, il faut être fort psychologiquement, parce qu’il y a trop de préjugés. Pourtant c’est un travail simple tout comme les autres», croit-elle, dure comme fer. Les corps les plus difficiles à entretenir, dit-elle, sont ceux des accidentés. Ces dépouilles continuent de saigner pendant la mise en bière et il faut parfois retenir ce sang avec beaucoup de coton. 

Toutefois, il demeure que le métier continue de faire peur. «Parfois dans la rue, des gens qui m’ont déjà vu ici me fuient, m’évitent, disant que quand on travaille à la morgue, on n’est pas simple. On est compliqué. On perd un peu de son humanité», indique, un brin amusée, cette originaire de Foumban, Département du Noun, Région de l’Ouest. Outre la thanatopraxie, le commerce est la deuxième passion de cette trentenaire qui dit être fière du parcours qu’elle a jusqu’ici mené.

IM/ Hôpital Laquintinie

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