Tchiroma et Kamto : le sang du peuple pour le pouvoir, l’éternel retour de la logique insurrectionnelle
TRIBUNE. À l’approche de la proclamation des résultats de la présidentielle du 12 octobre par le Conseil constitutionnel camerounais, Jean Gatsi, coordonnateur de la Convergence Républicaine et du G 80, dénonce une dérive dangereuse : l’autoproclamation de victoire avant les résultats officiels. De Maurice Kamto en 2018 à Issa Tchiroma aujourd’hui, cette stratégie insurrectionnelle transforme le peuple en instrument d’un rapport de force violent, mettant en péril la stabilité du pays.

Au Cameroun, la période électorale, loin d'être un exercice serein de la démocratie, se transforme souvent en une joute de l'extrême, où les règles sont perçues comme des obstacles à contourner plutôt que des fondations à respecter. L'analyse des stratégies post-électorales de deux figures majeures, Maurice Kamto (en 2018) et plus récemment Issa Tchiroma Bakary, révèle une troublante convergence : celle d'une logique insurrectionnelle qui, pour forcer la reconnaissance d’une victoire autoproclamée, est prête à mobiliser le peuple au risque de l’exposer au chaos.
I - L'autoproclamation : l'usurpation de l'autorité légale
Le point de jonction le plus frappant entre les démarches de Maurice Kamto et d'Issa Tchiroma est l'acte d'autoproclamation de la victoire avant la publication des résultats officiels par l'instance constitutionnelle compétente.
- Le cas Kamto (2018) : Après le scrutin, Maurice Kamto avait déclaré avoir remporté l'élection présidentielle sur la base de ses propres compilations cybernétiques de Procès-Verbaux. Cette sortie, spectaculaire et médiatisée, avait immédiatement tendu le climat politique, le gouvernement de l'époque, par la voix d'Issa Tchiroma lui-même, qualifiant l'acte d'« hors-la-loi » et de « séditieux ».
- Le cas Tchiroma (depuis quelques jours) : Ironie de l'histoire, Issa Tchiroma Bakary, jadis ardent défenseur de la légalité, a repris cette même stratégie. Face à des résultats non encore validés, il a revendiqué la victoire, sans produire les procès-verbaux, bases légales de toute proclamation.
Dans les deux cas, le message est clair : la volonté cynique personnelle ou partisane prime sur l'autorité de la loi.
L'autoproclamation n'est pas un acte de foi, mais un acte politique délibéré visant à court-circuiter le processus institutionnel et à installer un rapport de force. C'est surtout un acte de banditisme politique.
ll - Le prix de la ruse : l'appel à l'insurrection.
L'autoproclamation, en soi, est vide sans un bras séculier capable de la matérialiser. C'est là que la logique insurrectionnelle s'enclenche, faisant du peuple l'instrument et la première victime de l'ambition.
L'objectif de cette manœuvre est double :
- Délégitimer le pouvoir en place : en clamant la victoire, l'opposant présente le verdict officiel à venir (forcément contraire à son annonce) comme une fraude, un « hold-up » électoral, justifiant par avance la résistance.
- Forcer la reconnaissance par la rue : l'autoproclamation est un appel implicite, voire explicite, aux partisans de descendre dans la rue pour défendre la prétendue victoire volée ».
Cette stratégie met le pays au bord du précipice. En poussant les citoyens à l'affrontement direct avec les forces de l'ordre, elle substitue la violence et le désordre à la voie des urnes et des tribunaux. Le risque, comme l'histoire des démocraties l'a souvent déjà montré avec les manifestations post-électorales, est celui d'une répression sanglante, où le « sang du peuple » devient le prix à payer pour l'agenda politique d'un seul homme. C'est du cynique dans son état brut.
lll - La démocratie, victime collatérale des loubards.
En fin de compte, la vraie victime de cette « filouterie politique » est la Démocratie elle-même et la stabilité nationale.
Kamto et Tchiroma, malgré leurs trajectoires politiques différentes (l'un universitaire d'opposition et ancien ministre, l'autre nouvellement ancien ministre du régime), partagent une même méfiance fondamentale envers les institutions censées garantir l'équité du scrutin. Les deux se partagent d'ailleurs une soupçonneuse amitié depuis quelques temps.
En refusant de se soumettre à l'autorité du Conseil Constitutionnel, seul organe habilité à trancher en dernier ressort, c'est deux loubards sapent la crédibilité de l'État de droit et ouvrent la porte à la loi du plus fort.
Si l'ambition d'un homme politique en quête de pouvoir est légitime, elle ne saurait l'être au prix de la paix civile. La logique insurrectionnelle, qu'elle soit portée par un leader haineux d'un petit parti polique, ou un homme politique de la vieille garde, reste une bouffonnerie dangereuse : elle utilise l'espoir du changement d'un peuple comme un carburant pour le chaos, faisant peser sur l'épaule des Camerounais le fardeau de la guerre civile voire du génocide pour l'obtention du titre distingué de Président de la République.
Le Cameroun a le droit à des élections régulières, transparentes et, surtout, pacifiques. La victoire doit être attestée par la loi et non par la clameur prématurée d'un candidat, sans quoi, la course au pouvoir ne sera jamais qu'une course à l'abîme.
Par Jean Gatsi, Coordonnateur de la Convergence Républicaine et du G 80.