Assemblée Nationale : Intervention de l'Honorable Cabral Libii lors de l'adoption de la loi de finances 2023

Assemblée Nationale : Intervention de l'Honorable Cabral Libii lors de l'adoption de la loi de finances 2023

Monsieur le Président, chers collègues,

D’entame, je partage avec vous ce proverbe camerounais qui dit : « il se dit que si les lits des cours d’eau sont si sinueux, c’est parce qu’il ne se trouvait personne pour leur montrer le droit chemin. Et pourtant, les grenouilles ne cessaient de coasser en leur disant : non ne vas pas là-bas ! » 

Les 17 amendements à la Loi de finances de 2023 que nous avons déposés, résonnent comme le coassement de ces grenouilles qui disent au Gouvernement : non ne vas pas là-bas ! Mais nous sommes impuissant, devant l’entêtement gouvernemental à emprunter le chemin de « je m’en fous ». Je suis sûr qu’il se retrouvera tôt ou tard, dans le pays de « si je savais ».  

Avec cette Loi de finances le Gouvernement veut augmenter la captation des revenus des personnes physiques au delà de l'IRPP ou ceux des revenus échappant à cet impôt. 

- Mais, en augmentant le timbre fiscal de 33% en le faisant passer de de 1 000 à 1 500 frs, ce n’est pas là-bas qu’il faut aller.  Le timbre d'une demande administrative est indispensable pour le bas revenu, si son coût augmente cela peut avoir un effet d'éviction du service public auquel tout citoyen camerounais a droit. Cette augmentation vient frapper inutilement les dossiers d'examens même si leurs tarifs sont plafonnés par la LF, les demandes administratives de toutes sortes et le service minimum dû aux usagers du Service Public, dont la qualité est régressive plutôt que progressive comme l’a indiqué le dernier rapport de la CONAC.  

- En augmentant le timbre sur le connaissement de 15 000 à 25 000 frs, ce n’est pas là-bas qu’il faut aller. En le faisant, le Gouvernement augmente le coût douanier des biens importés et donc le coût des produits essentiels à la consommation des ménages et ce, de façon indiscriminée entre ménages pauvres et ménages riches. Cela est d'autant plus surprenant que dans le même temps, les mesures gouvernementales visant à réduire voire geler les coûts du fret maritime pour tenter de juguler l'inflation sont toujours en vigueur. Augmenter de 40% le tarif de timbre sur le connaissement est une contremesure d'apaisement des prix. L'augmentation en cause ne saurait même pas être justifiée par la politique d'import substitution dès lors que les importations de toute nature sont concernées.  

- En augmentant le timbre sur les automobiles de 25 000 à 50 000 frs, ce n’est pas là-bas qu’il faut aller. Cette augmentation est inopportune à un moment où les revenus et la dépense sont fortement contraints par l’inflation et que les salaires en eux-mêmes sont quasiment stagnants depuis 30 ans. Une pause fiscale s'impose donc aussi pour les ménages camerounais comme cela est enclenché pour les grandes entreprises et les PME. Sinon, en 2023 ce sont les classes moyennes (fonctionnaires, cadres, agents de maîtrise, artisans qualifies, petits commerçants, les retraites et les jeunes entrepreneurs etc.)) pour qui la voiture est plus un outil de travail qu’un objet de luxe, qui vont encore devoir passer à la caisse après avoir acquitté l'IRPP, la Taxe Communale (TDL) et la RAV sur leurs salaires, la TVA et les droits d'accises sur leurs achats quotidiens, etc.

Et sur cette question de timbre automobile, le Gouvernement fait quelque chose d’incroyable. Il augmente les droits de timbre automobile et modifie l’article C51 du Code Général des Impôts qui dispose que la totalité du produit de ces droits est affecté au FEICOM. Ladite modification plafonne à 7 milliards, la quotité désormais dévolue aux CTD. Donc non seulement le Gouvernement bafoue la loi générale des CTD fruit du grand Dialogue National, en ne respectant pas les 15% des recettes dévolus à la DGD, mais il réduit en plus les ressources du FEICOM. C’est quoi le plan ?

- En augmentant de façon vertigineuse tous les tarifs en matière d’immatriculation foncière directe ou d’examen des oppositions, ce n’est pas là-bas mon Dieu ! qu’il faut aller. La conséquence immédiate est que l’immatriculation qui était déjà engluée dans une corruption démentielle, est désormais hors de portée de tous les pauvres propriétaires fonciers coutumiers. Le Gouvernement consacrant désormais l’âge d’or de la spoliation des terres des plus pauvres par les plus riches. Le Gouvernement a fait une chose à saluer. Il a baissé l’Impôt sur les sociétés de 28% à 25%. Mais voulant compenser cette baisse, il aurait pu puiser dans les niches que nous avons indiquées dans nos 17 amendements, en évitant d’accabler davantage le peuple. Voici quelques exemples : 

- En constituant un droit d’accise de 30% sur le riz parfumé et en le soumettant à la TVA, le Gouvernement fait des recettes sur l’importation du riz parfumé, et protège en plus la production locale de riz ; 

- En relevant le droit de sortie de 100% de la valeur FOB de l’essence du bois en grumes que le gouvernement décide de continuer à exporter en 2023, il fait des recettes énormes. En imposant seulement un droit de sortie de 60% aux bois en grumes en 2023, contre 50% en 2022, le gouvernement encourage par cette mince augmentation, les exportateurs de bois à ne pas opérer la simple transformation de base ; 

- En appliquant une meilleure imposition des importateurs-distributeurs de l’article 21(3) du CGI, en conditionnant notamment exonération des précomptes sur achats, à l’investissement dans la construction de surface de vente comme l’indique la loi de 2015 sur l’activité commerciale, le gouvernement provoque incidemment l’accroissement des recettes ; 

-  En augmentant le timbrage des documents spécifiques aux activités commerciales liées à la commande publique, ou encore en levant les exonérations pour tous les conjoints des étrangers exerçant une activité commerciale ou libérale sur notre territoire, le gouvernement aurait pu faire des recettes.

Le Gouvernement escompte une augmentation des recettes fiscales à un peu plus de 520 milliards en 2023. Les niches que nous indiquons et d’autres qui existent encore, le tout couple à une meilleure administration fiscale, peuvent atteindre cet objectif sans accabler le peuple. Alors, pendant que le Gouvernement prend un chemin sinueux, « Je demeure la grenouille qui coasse, impuissante, mais qui dit : ne vas pas là-bas ! ne vas pas là-bas ! »

Une seule question pour finir : Nous notons que le montant du chapitre 65 objet d’un audit commande par la Présidence de la République sur haute Instructions, est passe de 400 milliards à 348 milliards. En 2021 le chapitre s’élevait à 303 milliards, en 2020 à 295 milliards, en 2019 à 310 milliards, en 2018 à 269 milliards, en 2017 à 243 milliards, en 2016 à 228 milliards, en 2015 à 223 milliards. A l’allure ou ça allait, le montant devait être multiplie par 2 en 10 ans. Alors qu’est-ce qui justifie l’arrêt brusque de l’augmentation ? Rationalité budgétaire ou bruits d’audit ? 

Quant à la question de la recevabilité de nos amendements, nous sommes profondément heurtés par l’attitude de nos collègues de la commission de finances qui tout en tolérant au Gouvernement 30 jours de retard et de violation de la loi, se montrent aussi intransigeants à notre égard suite à un retard de 5 jours. Retard par ailleurs inévitable. Nous avons reçu la loi de finances le 24 novembre à 11h. La commission de finances examinait les articles le 26 novembre dès 10h alors même que les Députés n’avaient pas encore reçu la tonne de documents annexes aux 100 pages de la loi elle-même. Sauf à vouloir transformer l’Assemblée Nationale en terrain d’amusement, aucun travail sérieux n’aurait pu être fait dans ces délais.

Tout cela transpire la préméditation de la médiocrité du travail parlementaire. Et ce chemin de « je m’en fous » que cette chambre emprunte aussi, la mènera à coup sûr et tout droit au village de l’insignifiance. Si ce n’est déjà hélas, le cas…

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