Afrique : quelle alternative à la farine de blé ?
par Alphonse Logo.
Le conflit russo-ukrainien et l’embargo de l’Inde sur l’exportation de son blé rendent difficile la production et la consommation du pain en Afrique. Face à la pénurie, des solutions à base de farines de substitution s’imposent.
En Afrique comme partout ailleurs dans le monde, la montée vertigineuse du cours du blé, impacte lourdement la consommation du pain.
Une situation qui s’aggravera sans doute avec l’embargo de l’Inde (deuxième producteur mondial du blé) décidé ce 17 mai 2022, sur les exportations de cette denrée « sauf autorisation spéciale du gouvernement » alors que la pénurie de blé sur le marché a déjà commencé à se faire sentir depuis que la Russie (premier producteur au monde) et l’Ukraine (5ème producteur au monde) sont entrée en guerre.
Le prix de la tonne de blé sur le marché européen est passé à plus de 438 euros, soit le double de sa valeur il y a douze mois. Sur le marché africain, les statistiques ne sont pas clairement encore établies.
Le pain, de la cherté à la pénurie
Mais le constat est clair, dans plusieurs pays du continent, non seulement le pain devient plus cher. Mais il en manque aussi sur le marché.
Au Togo par exemple, le prix de la baguette du pain de 100 Fcfa (environ 2usd) est passé à 125 ou 150 Fcfa (2,5 ou 3 usd environ). Ce 18 mai, de nombreux Togolais n’ont pas trouvé du pain à acheter.
« Mis à part les baguettes de pains dont les prix ont grimpé, j’ai l’impression que, c’est le pain de 100 Fcfa (environ 2usd) d’avant, qu’on nous vend maintenant à 200 Fcfa (environ 4 usd). Plus inquiétant, on commence par avoir aussi pénurie de pains. Du jamais vu. Qu’allons-nous manger alors ? » s’interroge Anselme Koffi, fonctionnaire togolais croisé par Anadolu dans les rues de Lomé.
Joseph Aziaba aide son frère à la boulangerie familiale à Lomé depuis la mort de leur père il y a presque 20 ans. Interrogé par Anadolu, il fait constater, que « la pénurie du pain est la conséquence directe de la pénurie de la farine du blé chez les grossistes ».
« On n’en trouve pas. Et si on en trouve, le sac de 25 kg qu’on nous vendait à 19 000 Fcfa (30 usd environ), est vendue à 30 000 Fcfa (48 usd environ) » a-t-il confié.
D’après les chiffres avancés par Mme Ayi Alognon Adjo Marie, la secrétaire générale du Syndicat national de la boulangerie viennoise du Togo – SYNABOVITO, « contrairement aux 300 tonnes de farine de blés qui étaient régulièrement mises sur le marché national, seulement le tiers est quotidiennement mis sur le marché depuis le conflit russo-ukrainiens ».
« Les perturbations subies par la production et les filières d’approvisionnement et d’acheminement des céréales et des graines oléagineuses, et les restrictions imposées aux exportations de la Russie, auront des répercussions sensibles sur la sécurité alimentaire » alertait Qu Dongyu, le Directeur Général de la FAO, en mars 2022 dans une libre opinion publiée dans les médias.
Face à la situation, n’y a-t-il pas de solutions africaines à l’usage du blé qui permettent de baisser les prix ?
Changer d’habitude alimentaire
Meïssa Babou, économiste et enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar interrogé par le journal en ligne Sud Quotidien, préconise « un abandon purement et simplement du pain » au profit « du mil, des bouillies, des beignets (faits à base d’autres céréales comme le maïs) etc… »
Gervais Gnekouezan, expert en gastronomie africaine, formateur en cuisine et pâtisserie, et président de « Africa Gastronomie Togo », interrogé par Anadolu à Lomé à l’occasion du festival international de Lomé sur la gastronomie africaine dénommé Fesma (10 au 15 mai 2022), a deux approches.
D’abord, il soutient que les boulangers ont la possibilité de produire des baguettes de pains de la même qualité en réduisant par exemple la teneur en farine de blé de « 80 à 85% » et d’y ajouter « entre 15 et 20% d’autres farines comme celle de la farine de manioc, de sorgho ou autres ».
« Pour avoir une meilleure qualité de baguette de pain avec ses alvéoles, certes la farine de blé est la mieux indiquée. Mais j’ai fait moi-même des expériences, et je peux vous assurer qu’on peut composer avec ces farines et avoir toujours des baguettes de pains bien composées qui gardent toutes leurs qualités » a indiqué Chef Gervais Gnekouezan
Il précise toutefois, d’après ses propres expériences, que « la production des baguettes de pain faites 100% à base d’autres farines et sans aucune quantité de la farine du blé, ne marche pas ».
« Vous convenez qu’en utilisant moins de farine de blé, on peut ainsi stabiliser le prix du pain et satisfaire les consommateurs » conclu-t-il sur ce point.
Des pains composés 100% sans farines de blés
L’expert togolais en gastronomie africaine affirme en revanche, que les boulangers et pâtissiers peuvent produire d’autres types de pains sans utiliser la farine de blé : « des pains composés 100% sans farine de blé ».
« C’est aussi là une solution », dit-il. Puisqu’il y a, détaille-t-il, « des recettes faites autrefois, uniquement avec la farine de blé, peuvent mieux réussir avec nos farines locales. Nous avons juste refusé de les utiliser. Il va bien falloir les essayer à nouveau. Et si on ne le connaissait pas, l’apprendre ».
« Par exemple pour faire des gâteaux, on n’a pas forcément besoin de la farine de blé. Puisque ces pâtes montées à base d’œufs. La farine du sorgho ou la farine du maïs suffiraient. Cela réussi à 100% pour des galettes » assure Gervais Gnekouezan sur la base d’expériences déjà réussies.
De même, « pour faire de la pizza, il suffit de remplacer la farine de blé par la farine de fonio. Cela réussi également à 100%. Le résultat est d’ailleurs meilleur à celui qu’on a toujours eu avec la farine de blé ».
C’est dire que face à la pénurie de la farine de blé qui augmente le prix des pains, les solutions sont là, il suffit de les adopter.
Des solutions en phases d’études
Au Togo, le gouvernement affirme « étudier ces différentes options possibles pour continuer de produire du pain moins cher et de bonne qualité ». En ce sens que le ministère du commerce gouvernement (togolais) est bien lui-même « dans cette dynamique de promotion du consommer local ».
Donc nous sommes en train d’étudier toutes les options possibles. Dans peu de temps nous donnerons une suite. De la même manière que gouvernement, avait sollicité, au début de la pandémie du Covid-19, les artisans à la création des masques artisanales pour faire face à la pénurie et la cherté des masques », a-t-il soutenu.
En attendant, le Togo a décidé d’exonérer de la TVA plusieurs produits importés ou vendus sur le marché togolais à l’exemple du blé et du lait. Des mesures sans réels effets pour l’heure, sur la pénurie.