Projet d'exploitation du fer de Lobe-Kribi: S.M NDJOKOU DJONGO : « Nous n'avons pas besoin de ce projet...».

INTERVIEW. Le chef du village Ebodje, Sa Majesté Ndjokou Djongo, s'insurge contre la convention de l'exploitation du fer Mont de Lobe Kribi, signée le 06 mai 2022. Dans une interview accordée à nos reporters, le garant de la tradition s'oppose avec véhémence à ce projet. Éclairages.

Projet d'exploitation du fer de Lobe-Kribi:  S.M NDJOKOU DJONGO : « Nous n'avons pas besoin de ce projet...».
S.M NDJOKOU DJONGO , Chef du village Ebodje. Crédit-photo : © Haurizon News DR.

Sa Majesté Ndjokou Djongo, le 06 mai 2022, le Cameroun a signé une convention d'exploitation du minerai de fer sur le mont des <>, avec la société SINOSTEEL CAM S.A, filiale de SINOSTEEL CORPORATION. Quelle appréciation faites-vous ?

Je vous remercie d'avoir pensé à nous. Nous nous sentons diminués et humiliés parce que nous allons perdre tout ce que nous avons de plus cher au monde, nos populations et tout ce que nous avons hérité de nos ancêtres. Nous ne sommes pas contre le développement; d'ailleurs, nous militons pour le développement et l'amélioration des conditions de vies. Cependant, c'est la manière avec laquelle on nous l'apporte qui n'est pas bonne. Si nous perdons notre population, nous serons le chef de qui? Nous faisons dans l'écotourisme et la protection des espèces en voie de disparition. Depuis plusieurs années, nous ne faisons que perdre nos terres sans raison, puisqu'on décide sans consulter les populations et les minorités que nous sommes; on décide sans tenir compte de la vie humaine, pour cela nous déplorons fortement cette manière de procéder. C'est inquiétant! Nous sommes une minorité. Tenez par exemple, peu de personnes au Cameroun connaissent les Iyasa. Beaucoup pensent que Iyasa c'est un quartier de Douala, pourtant c'est un peuple du Cameroun, situé dans le département de l'Océan, dans les villages Lolabe, Beyo, Ebodje, Benji, Bwandjo, Bokombe (Campo) et Mohombo (Campo Beach). Nous sommes une minorité qui doit être protégée au même titre que les Pygmées. Au lieu de nous protéger,  on nous chasse du territoire camerounais avec des manières, sous le fallacieux prétexte du développement... On a l'impression que certaines personnes brandissent l'État pour des intérêts personnels. Vous savez, ça ne sert à rien de se voiler les yeux. Nous sommes persuadés qu'il y a des personnes derrière. Il y a les indices qui ne trompent pas!  Le projet en lui-même ne nous profite en rien. Qu'est-ce qu'ils ont prévu pour l'impact environnemental ? Les produits qui seront utilisés pour l'extraction de ce fer vont détruire notre sol, pulluler nous cours d'eau. Qu'allons-nous profiter concrètement dans ce projet? Certaines informations que nous disposons montrent que la plupart de ceux qui travaillent dans les mines meurent précocement, des suites de maladies comme le Cancer, la silicose et autres maladies respiratoires. Vous conviendrez donc avec nous, que ce projet viendra décimer notre population. Ce n'est pas de cette manière qu'on doit nous chasser du Cameroun.  Si l'église d'Ebodje a plus d'un siècle, cela prouve que les Iyasa occupent ce territoire depuis plusieurs siècles. Nous insistons et disons aux dirigeants de ce pays que nous sommes une minorité. Où sont les droits des minorités ? Qui doit protéger les minorités ? Si l'État nous chasse, qui va nous protéger ? Nous n'avons pas besoin de ce projet chez nous parce que ça ne nous avantage à rien. Vous nous direz qu'on va bitumer la route. Mais nous ne mangeons pas le goudron. Depuis 1975 que la route Kribi-Campo existe, nous n'avons pas de bitume. Vous me parlerez de l'électricité. Mais ils le feront parce que le bitume et l'électricité vont leur servir à transporter leurs produits et alimenter leurs usines. Pour ce qui est de l'eau, nous ne les croyons pas capables de nous fournir l'eau potable, parce qu'ils feront leurs forages loin du village. Nous sommes appelés à vivre dans la rue; et vous croyez que c'est la signification du développement ? 

Sa Majesté, il nous revient qu'il y a eu une série de rencontres de travail avec la population. Est-ce que vous avez été contacté?

Nous n'avons jamais été informé. C'est sur la voie publique, dans les divers que nous avons eu vent de cette information, nous pointant du doigt,  en notre qualité de Chef du village Ebodje. Puisque nous sommes dans  zone enclavée, sans lumière encore moins de réseau téléphonique,  il nous ait revenu bien après que le chef de Groupement à été convié à cette cérémonie de signature.  Grande à été notre surprise de l'entendre, puisqu'il y a pris part sans nous informer. Déjà,  quand il y a un tel projet,  il faut au préalable des assises,  séances de travail, des campagnes de sensibilisation et d'information; nous n'avons rien vu de telle, puisqu'il n'y en a pas eu. Personne ne sait rapprocher de nous, encore moins notre population. C'est la raison pour laquelle la population s'est levée comme un seul homme pour décrier et dénoncer cette forfaiture...

Vous êtes-vous rapprochés de votre Chef de Groupement, puisqu'il été convié à la cérémonie de signature de cette convention entre le Cameroun et Sinosteel ?

Il ne nous a jamais appelé pour nous mettre au courant  ou nous rendre compte de ce dont il était question à Yaounde. En même temps, nous n'attendons pas compte-rendu de lui, puisque ce nous qui devons lui rendre compte. Mais, il devrait tout au moins nous donner des informations et pourquoi pas une conduite à tenir. Mais depuis le début de cette affaire,  c'est silence radio. Nous ne l'avons même pas encore aperçu, pourtant c'est notre village qui est directement ciblé et concerné par ce projet.   Quand nous essayons d'analyser froidement les tenants et les aboutissants de ce projet, nous sommes mis de côté à tous les niveaux.  Déjà au niveau de l'appellation  il y a un changement de nom. Ebodje est devenu Lobe. Pourtant la Lobe est à au moins dix-sept Kilomètres au moins. C'est le cours d'eau Dimba, après le mont des Mamelles qui nous sépare de la Lobe. C'est le même cours d'eau qui nous sépare des localités de Zingui et Niété. C'est l'un des rares cours d'eau dans la zone qui effectue sens contraire des autres, puisque ne se déversant pas dans l'océan Atlantique, il se jette vers le  parc national de Campo Ma'an. L'endroit où ce cours d'eau se déverse est connu sous le nom de  Nkongo. Et c'est à cet endroit que le fleuve Lobe prend sa source et non le village... nous sommes donc tentés de nous demander si les délimitations et les frontières naturelles que nous connaissons tous ont changé ? Pourquoi la Lobe doit-elle arriver jusque là ? Comment a-t-elle fait pour traverser le village Lolabe avec qui nous sommes frontalier ? Même s'il faut parler de Lobe, c'est après le Mont des Mamelles. Or le mont des  Mamelles se trouve à Ebodje. C'est la même forfaiture qui s'est produite à Lolabe lors de la construction du Port autonome de Kribi. La localité de Mbodè est devenue Mboro. Lolabe qui est le village pionnier de ce port, n'a même pas un centime de bitume. La raison est plus que simple,  l'État n'avait pas d'intérêt à goudronner la route qui traverse cette localité.  Il faut qu'on soit claire, le Mont des Mamelles est une chaîne de montagnes qui s'étend dans plusieurs villages : Ebodje, Mbenji, Doumessamedjang, Malaba...etc. Avec cette appellation de Lobe-Kribi, nous avons la certitude qu'il y a des gens derrière qui ne veulent pas qu'Ebodje en particulier et Campo en général bénéficient de ce projet.

Sa Majesté, pour sortir, quel est le plaidoyer que vous faites à l'endroit du gouvernement ?

Nous disons au gouvernement que la force de l'État c'est le bas peuple. Si le peuple n'existe pas, le gouvernement ne saurait exister non plus. Nous sommes, en tant que chef traditionnel, gardien de la tradition, et puis auxiliaire de l'administration. Si déjà eux, qui sont dépositaires du pouvoir n'ont pas le souci des populations, nous nous demandons bien qui se souciera de nous... où sont passés les droits des peuples autochtones, des personnes dominées sans défense? Donc, nous demandons au gouvernement de revoir les termes de cette convention ou de l'annuler tout simplement. Au vrai dire, nous n'avons pas besoin de ce projet chez nous. Nous n'avons pas besoin d'un projet qui, au lieu d'apporter le développement dans notre village,  viendra détruire tout ce que nous avons hérité de nos ancêtres. Ebodje est précieux dans le département de l'Océan. Nous sommes l'un des rares peuples qui détiennent encore la vraie tradition, des us et coutumes de la côte. Alors, si ce gouvernement a conscience que le peuple Iyasa est un peuple du Cameroun, qu'il prenne des mesures pour nous protéger.

Propos recueillis par Catherine Aimée Biloa, pour Haurizon News à Ébodje-Sud-Cameroun.

  

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