Voici le formidable levier de développement de l'Afrique post-Covid et post-guerre russo-ukrainiennne.
La crise du Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine continuent d’affecter la santé et le bien-être des populations, et de peser lourdement sur les économies. Les pays et les régions en situation de fragilité et de conflit en font davantage les frais. Au Sahel par exemple, la conjonction des crises créées par les conflits et les effets du changement climatique, associée à l’impact économique de la pandémie ainsi qu’à la montée en flèche des prix des denrées alimentaires, du carburant et des engrais, fait planer sur plus de 12 millions de personnes la menace d’une grave insécurité alimentaire.
D’après les dernières Perspectives économiques mondiales publiées par la Banque mondiale, la guerre en Ukraine « a accentué le ralentissement de l’économie mondiale, qui entre dans ce qui pourrait devenir une période prolongée de croissance faible et d’inflation élevée. » De plus, en raison « des dommages conjugués de la pandémie et de la guerre, le niveau de revenu par habitant dans les pays en développement sera cette année inférieur de près de 5 % à celui d’avant le Covid. »
Partenariats public-privé
Il s’agit d’apporter des solutions innovantes, transformatrices et porteuses de croissance économique inclusive. Cette mobilisation passe également par une meilleure coordination des interventions des organisations multilatérales et bilatérales avec celles des institutions et banques africaines de développement (régionales, sous-régionales et nationales).
Naturellement, la sécurité alimentaire et nutritionnelle reste une question fondamentale. Il existe déjà des cadres politiques et des programmes africains qui visent à accélérer la transformation des systèmes agroalimentaires et le développement rural, tels que la « Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie » et le « Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine » (PDDAA).
En matière de prévention et de résilience, les initiatives nationales ainsi que les institutions régionales, telles que le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), jouent déjà un rôle important qui ne demande qu’à être porté à la hauteur des nouveaux enjeux (climat, ressources naturelles, sécurité alimentaire, notamment).
Au regard des crises climatiques et alimentaires, il est indispensable de mettre en place des banques nationales de développement à la hauteur des nouveaux enjeux : celles qui devraient pouvoir soutenir les réformes nécessaires, inciter le secteur privé à participer au financement des besoins du secteur public et apporter une assistance technique pour rendre l’environnement plus propice. De véritables partenariats public-privé, gagnant-gagnant, devraient être le socle des programmes de renforcement des capacités des institutions nationales et de promotion du secteur privé.
Une réponse « verte », résiliente et inclusive
Prenons l’agenda climatique. Chaque année, l’équivalent d’environ 125 000 milliards de dollars de services écosystémiques sont fournis à l’économie mondiale sous forme d’eau potable, de nourriture et de pollinisation, d’air frais et d’absorption de chaleur, de même que de forêts et d’océans, qui absorbent du dioxyde de carbone – l’équivalent de 1,5 fois le produit intérieur brut (PIB) mondial. Or une dégradation de certains de ces services pourrait amputer le PIB mondial de 2 700 milliards de dollars par an d’ici à 2030. Selon des estimations récentes, la chute de ces services pourrait générer une contraction du PIB réel de 9,7 %.
Pourtant, il est évident qu’investir dans la résilience climatique avec des solutions fondées sur la nature offre un potentiel économique très important – avec environ dix dollars de bénéfices pour chaque dollar investi. Le cas de la Grande muraille verte, au Sahel, mérite que l’on s’y intéresse davantage. On estime que 45% des terres africaines sont touchées par la désertification, dont 55% présentent un risque très élevé de désertification. En développant des initiatives favorisant la restauration des terres et en augmentant leurs niveaux de financements, on pourrait renforcer la résilience des communautés rurales face aux crises, faire renaître la biodiversité, réduire les effets du changement climatique et fournir des moyens de subsistance aux femmes et aux jeunes.
La Zlecaf, ce formidable levier
N’oublions pas le développement urbain. En 2050, la population urbaine africaine sera la deuxième au monde. Or la croissance économique des villes reste faible, notamment du fait de l’insuffisance des investissements. Il nous faut prendre les mesures idoines pour bâtir des villes fonctionnelles, inclusives, saines, résilientes et durables. Nous devons amener nos villes à être des moteurs de croissance économique inclusive en développant les mécanismes nécessaires pour attirer les investissements nationaux (y compris de la diaspora) et internationaux, renforcer leurs liens avec les chaînes de valeurs régionales et mondiales, et intégrer le secteur informel de façon pragmatique et innovante.
Par ailleurs, il nous faut investir plus fortement dans l’entrepreneuriat ainsi que dans le financement des PME et des microentreprises en portant une attention toute particulière aux jeunes et aux femmes, rationaliser les régimes fiscaux pour réduire le coût de l’activité formelle et renchérir le coût de l’activité informelle, tout en accompagnant les acteurs du secteur informel dans leur transition vers le formel.
Pour toutes ces raisons, l’intégration régionale sera fondamentale. La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) sera un formidable levier et un accélérateur de croissance. Une pleine réalisation des objectifs de la Zlecaf contribuerait à faire sortir 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté, de faire croître les exportations africaines vers le reste du monde de 32% et les exportations intra-africaines de 109% d’ici à 2035.
Lits de Procuste
Couplée à l’investissement dans les secteurs de l’énergie (y compris dans le gaz naturel comme énergie de transition) et du numérique, la mise en œuvre de la Zlecaf pourrait contribuer à améliorer la qualité des infrastructures et la performance logistique, à accélérer la création d’environnements plus prévisibles afin de réduire les coûts et les risques liés aux investissements et à renforcer l’accès au financement des entreprises. Dans ce contexte, il nous faudra privilégier des solutions adaptées et innovantes et des investissements nationaux et régionaux de qualité pour promouvoir le libre-échange et accompagner le secteur privé, notamment dans l’atténuation des risques.
John Maynard Keynes disait que la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes. Le financement des économies africaines passera par la prise en compte des nouvelles réalités du continent. Il n’y aura donc pas de lits de Procuste. Pour réussir, nous devons réfléchir autrement. La bataille se mène aussi sur le terrain de l’esprit. Nous devons agir autrement. Soyons ambitieux !
Source : Jeune Afrique