Crise anglophone au Cameroun : Girest Tchatchou Nkwechu dévoile les failles juridiques de la succession d’État

Dans l’atmosphère feutrée de la Salle des actes du rectorat de l’Université de Douala, hier lundi 22 décembre 2025, une soutenance de thèse a résonné bien au-delà des murs académiques. Girest Tchatchou Nkwechu, magistrat en service camerounais au ministère de la Justice, a défendu un travail doctoral qui met le doigt sur une plaie béante du Cameroun contemporain.

À l’unanimité, le jury composé d’éminents universitaires a élevé Girest Tchatchou Nkwechu à la dignité de Docteur en droit public avec la mention “Très honorable”, saluant ainsi une recherche qualifiée de “révolutionnaire” par ses encadreurs. La thèse, rédigée en anglais et intitulée “La problématique de la succession d’État au Cameroun et son impact sur la crise anglophone”, constitue le fruit de quatre années d’un travail acharné. 

Sur 350 pages, organisées en deux parties, quatre titres, huit chapitres et seize sections, le nouveau docteur déploie une démonstration aussi rigoureuse qu’audacieuse. En 18 minutes chrono, alternant anglais et français avec aisance, il a su captiver son auditoire en exposant les mécanismes juridiques et politiques qui, selon lui, ont créé le terreau fertile de la crise qui déchire les régions anglophones du pays depuis bientôt une décennie.

Un parcours d’exception pour une recherche de haut vol

À 35 ans, Girest Tchatchou Nkwechu incarne le profil du juriste complet. Son directeur de thèse, le Pr Begni Bagagna, a pris soin de retracer son parcours lors de la présentation biographique. Doublement diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), le candidat possède une formation internationale impressionnante : un master 2 en droit international public obtenu à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé 2, un master 2 en relations internationales à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) où il a rencontré son “grand maître”, le Pr Charlemagne Pascal Messanga Nyamding.

Ce n’est pas tout. M. Tchatchou s’est également formé aux droits de l’homme à la Fondation René Cassin en France, a obtenu un diplôme en diplomatie culturelle de l’Institut pour la diplomatie culturelle de Berlin en Allemagne, et un autre en diplomatie culturelle toujours à Washington D.C. aux États-Unis d’Amérique. « Le candidat a les qualités pour mieux traiter son sujet et les arguments techniques et juridiques pour le défendre », a souligné le Pr Begni Bagagna, directeur de thèse, rappelant que cette expertise multidisciplinaire était cruciale pour aborder la succession d’État, thématique relevant d’abord du droit international public.

L’évaluation a porté tant sur le fond que sur la forme. La méthode quali-quantitative adoptée par le chercheur, s’appuyant sur une analyse systématique du contenu, a permis d’interpréter et d’analyser les données collectées avec rigueur. Les résultats de cette recherche suggèrent que la crise anglophone est, en partie, la conséquence de questions non résolues liées à la succession de l’État, ainsi que d’une mauvaise gestion de l’héritage constitutionnel issu de la Conférence de Foumban en 1961.

 « L’instabilité des textes crée des imperfections »

Pour le Pr Charlemagne Pascal Messanga Nyamding, co-directeur de thèse et professeur titulaire des universités, ce travail dépasse le cadre académique habituel. « C’est une thèse révolutionnaire », martèle-t-il sans ambages. Selon l’internationaliste, la succession de l’État devrait être enseignée plus abondamment dans les amphithéâtres camerounais, tant les enjeux sont cruciaux pour l’avenir du pays. « L’instabilité des textes crée des imperfections », a-t-il déclaré pendant cette agape scientifique qui a duré trois heures, pointant du doigt les lacunes du système de gouvernance qui ont favorisé l’émergence et la persistance de la crise.

Le travail du Dr Girest Tchatchou Nkwechu démontre comment la succession à la tête de l’État camerounais a été à l’origine de tensions qui minent aujourd’hui la cohésion nationale. La Constitution fédérale de 1961, adoptée lors de la Conférence de Foumban, présentait d’importantes lacunes qui ont inévitablement contribué au déclenchement de la crise. L’étude révèle que le traitement des problèmes découlant de la succession de l’État, en particulier la violation des dispositions constitutionnelles fédérales, a cessé sans véritablement résoudre la crise actuelle.

« On ne construit pas un État dans le désordre, mais on construit un État dans la négociation », insiste le Pr Messanga Nyamding. Il salue la démarche théorique du nouveau docteur qui a délibérément évité les grandes théories classiques comme le réalisme, privilégiant des approches plus adaptées au contexte camerounais : le pluralisme juridique, le néo-fonctionnalisme et les théories qui structurent la société. « C’est une très bonne thèse pour le Cameroun. Il serait intéressant que les décideurs s’en approprient », lance-t-il, insistant sur la dimension pratique de cette recherche qui pose frontalement les problèmes de gouvernance politique, juridique et sociale.

Le professeur développe sa pensée avec conviction : « Si nous nous projetons vers un véritable intérêt national, sachant que nous sommes un État communautariste, nous allons mettre en place des lois et des règlements qui renforcent la régulation et la cohésion, qui sont les missions du droit ». Cette thèse, selon lui, constitue un bon travail de fond capable de servir à la fois aux décideurs et de préparer les futurs juristes camerounais pour le Cameroun de demain. « Les enfants qui vont prendre le Cameroun de demain doivent comprendre qu’on ne construit pas un État sur la base des influences essentiellement extraverties, c’est-à-dire externes. On peut construire un État avec nos réalités », soutient le Pr Messanga Nyamding.

Des recommandations audacieuses pour sortir de l’impasse

Le Dr Girest Tchatchou Nkwechu ne s’est pas contenté d’un diagnostic, aussi pertinent soit-il. Sa thèse formule des recommandations concrètes et parfois audacieuses pour sortir de la crise. Première prescription : enseigner correctement l’histoire du Cameroun. « Il faut être bien informé », insiste-t-il, convaincu que l’ignorance historique nourrit les malentendus et les tensions communautaires.

Deuxième proposition majeure : la création d’une institution permanente dédiée au dialogue. Cette structure aurait une double mission : non seulement résoudre la crise anglophone actuelle, mais aussi garantir qu’une crise de cette ampleur ne surgisse plus jamais au Cameroun. Un organe de régulation des tensions communautaires, en quelque sorte, qui institutionnaliserait la négociation et le dialogue comme modes de gouvernance.

Mais c’est la troisième recommandation qui a probablement le plus retenu l’attention : la réforme en profondeur de la forme de l’État. « C’est un débat qu’il ne faut pas fuir, il faut le mettre sur la table, il faut être honnête intellectuellement », affirme le nouveau docteur avec une franchise désarmante. Il évoque explicitement l’option d’une fédération à deux États.

Sur la question de la décentralisation actuelle, le Pr Charlemagne Pascal Messanga Nyamding pointe les insuffisances du système : « Le Cameroun décentralisé se contente tout simplement d’avoir ce qu’on appelle des parlements régionaux. La commune est un parlement régional avec un président de parlement qu’on appelle le maire. La région est un parlement, où est l’exécutif ? ». Il appelle à consolider ces structures, notamment la House of Chiefs visible dans les régions anglophones, pour qu’une véritable décentralisation projettent le pays “vers un État camerounais fort qui garantit la régulation et le développement”.

La mise en place d’une institution permanente dédiée au dialogue, chargée spécifiquement de traiter la question du vivre-ensemble et d’autres enjeux d’intérêt national, constitue selon l’auteur de cette recherche une solution durable. Non seulement elle permettrait de résoudre la crise actuelle, mais elle préviendrait également des crises similaires à l’avenir.

Visiblement ému à l’issue de cette épreuve, Girest Tchatchou Nkwechu a exprimé un “sentiment du travail accompli”. « Ce n’était pas facile, mais par la volonté de Dieu et grâce au travail qu’on a effectué, les résultats sont là », confie-t-il. Conscient des obstacles qui jalonnent toute recherche sérieuse, il a mis les efforts nécessaires et les résultats ont suivi. « J’espère que ma recherche sera prise en compte par les autorités du pays », déclare-t-il avec un mélange d’espoir et de lucidité, avant d’ajouter : « Déjà ici, vous avez suivi comment la soutenance a été très enrichissante avec le débat entre les professeurs. C’est là que ça commence. On commence à faire l’impact à son petit niveau et on espère que ça va arriver au plus haut niveau », dit-il.

Cette soutenance marque ainsi une contribution scientifique majeure à la réflexion sur l’unité nationale, la gouvernance inclusive et l’avenir institutionnel du Cameroun. Reste à savoir si les décideurs politiques sauront s’emparer de ces analyses et recommandations pour construire, enfin, cet État fort et inclusif que la recherche appelle de ses vœux.

Gallery Photo

Crise anglophone au Cameroun : Girest Tchatchou Nkwechu dévoile les failles juridiques de la succession d’État
Crise anglophone au Cameroun : Girest Tchatchou Nkwechu dévoile les failles juridiques de la succession d’État
Crise anglophone au Cameroun : Girest Tchatchou Nkwechu dévoile les failles juridiques de la succession d’État
Crise anglophone au Cameroun : Girest Tchatchou Nkwechu dévoile les failles juridiques de la succession d’État
Suivez nous