Patrimoine culinaire : ‘Kekua’ ou ‘Koki', le plat de la discorde au Cameroun
TRIBUNE. Le mets qui se retrouve sur presque toutes les tables au Cameroun se voit revendiquer la paternité. Le regard de Téguia Bogni, Chargé de recherche au Centre national d'éducation, ministère de la recherche scientifique et de l'innovation du Cameroun.
Sur fond de revendication culturelle, en particulier culinaire, entre deux communautés au Cameroun, le koki vit son heure de gloire. En effet, depuis le communiqué de l’Association des rois et chefs traditionnels du Moungo portant sur « la tentative d’appropriation de l’un de [leurs] éléments patrimoniaux, notamment [leur] mets phare, l’ékoki (le koki) », les réseaux sociaux se sont littéralement enflammés. Au point que, désormais, plusieurs camps s’affrontent à coups d’arguments aussi bien objectifs que subjectifs pour savoir qui des Mbo ou des Bazou sont détenteurs de cette spécialité culinaire.
Le plat de la discorde
Alors que s’est déroulée, du 11 au 18 février 2023, la deuxième édition du Festival Kekua de Bazou, les rois et chefs traditionnels du Moungo ont, sous la houlette du chef Eboa Etouke, tenu à dénoncer ce qu’ils considèrent comme une imposture : « Dans leur approche communicationnelle, les représentants de cette communauté ont la prétention d’être à l’origine de ce mets, nous désignant dans la même veine comme de simples ‘appréciateurs’, ce à quoi nous répondons ‘non’, avec la dernière énergie. » Dans ce même communiqué, il a été formellement proscrit aux autorités traditionnelles du Moungo de participer à ce festival, faute de quoi leur présence « serait assimilée à de la haute trahison ». En effet, cette sortie musclée trouve son épilogue dans un courrier adressé au directeur général de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi), dont l’objet est l’« inscription du Festival Kekua de Bazou ».
Mais à qui appartient réellement ce plat de la discorde ?
Emprunt culinaire
Si cette papillote végétale en est arrivée à se retrouver, entre autres, chez les Bazou et, plus largement, chez les peuples bamiléké situés dans la région de l’Ouest-Cameroun, c’est à la faveur d’un phénomène appelé emprunt alimentaire ou culinaire. Celui-ci consiste en ce qu’un peuple, en raison de sa proximité géographique, de ses liens patrimoniaux et matrimoniaux ou encore de ses besoins vitaux, adopte d’un autre peuple une spécialité, puis l’adapte à sa convenance. La richesse des cuisines camerounaises tient en effet à ce paradigme social, qui concourt tant bien que mal à la cohésion nationale entre les peuples.
Viendrait-il à l’esprit des Arabes de contester la patrimonialité du soya et du kilichi aux Haoussas du Cameroun au motif que ces deux gastronymes viennent de la langue l’arabe ? Dans quelle mesure les Douala et les Kom se verraient-ils retirer le fufu comme patrimoine culinaire du fait qu’il vient du peuple akan du Ghana ? Et enfin, serait-il juste de dissoudre le Festival du kanga du Nyong-et-Mfoumou pour la simple et bonne raison que le poisson célébré à cette occasion vient en réalité du Nord-Cameroun et, de plus, qu’il tient son nom du ministre Victor Kanga, qui était originaire de Banka, dans la région de l’Ouest-Cameroun ?
Ce questionnement sur l’origine de certaines spécialités de la gastro diversité du Cameroun vise à montrer que les « communautés, les groupes et les individus qui créent, entretiennent et transmettent le patrimoine culturel immatériel » ne sont pas toujours faciles à identifier.
Les questions relatives au patrimoine culturel immatériel sont d’une grande complexité. Il convient donc de les traiter avec beaucoup de perspicacité et de diplomatie. Le dialogue culturel sera toujours à privilégier, avec comme objectif la promotion du « manger-ensemble » et du vivre-ensemble.