Indomptable: La radiographie crue d'un Cameroun sans fard
Thomas Ngijol a ramené "Indomptable", son dernier long métrage, sur sa terre natale, offrant aux cinéphiles camerounais de Douala et Yaoundé une plongée saisissante au cœur de la réalité sociale qu'il connaît si bien. Présenté à la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, ce thriller dramatique d'1h21min est bien plus qu'une simple fiction : c'est un miroir sans complaisance tendu vers le Cameroun, avec ses contradictions, ses douleurs et ses espoirs.

Ngijol, digne fils du "Mboa" (pays), ne cède à aucune facilité. Il revient aux sources pour dépeindre, à travers un prisme teinté d'humour noir, la complexité du Cameroun contemporain. On suit Zacharie Billong, un commissaire aux méthodes brutales, incarnant une figure paternelle autoritaire, aux prises avec une enquête complexe sur la mort d'un policier. À l'instar du "Crime à Abidjan" de Mosco Lévis, "Indomptable" s'immerge dans le quotidien d'un flic pragmatique, tiraillé entre ses obligations professionnelles et les tensions familiales qui le rongent.
La scène d'ouverture, oppressante, annonce d'emblée le ton : un fils rentre furtivement, un père l'attend, grincheux, dans l'obscurité. On comprend que l'on va assister aux déchirements d'une famille camerounaise typique, où l'autorité paternelle est mise à rude épreuve.
Ce film, profondément intime, semble puiser dans les souvenirs d'enfance de Ngijol. Le personnage de Zacharie Billong, inspiré de son propre père, ponctue les moments de tension par un "salut moi" devenu signature. On perçoit l'amour filial, mais aussi la critique acerbe d'un modèle patriarcal parfois étouffant.
"Indomptable" est un véritable morceau de vie camerounaise. Les coupures d'électricité incessantes, qui plongent des quartiers entiers dans le noir, sont autant d'opportunités pour les hors-la-loi d'agir en toute quiétude. Le malheureux policier assassiné en a fait les frais. Les bougies, les lampes tempêtes deviennent des compagnons obligés du quotidien. La caméra de Ngijol capte aussi les difficultés de la vie quotidienne : les nids de poule qui paralysent la circulation, les policiers corrompus qui rackettent la population, les hôpitaux débordés où la prise en charge des malades semble être le cadet des soucis. C'est cette réalité brutale que Ngijol expose sans concession, à l'image du commissaire Billong perdant un témoin clé à cause de ces problèmes d'infrastructures.
Au-delà du simple divertissement, "Indomptable" captive le public par son authenticité, offrant un reflet saisissant de la réalité camerounaise. La caméra scrute les rues animées, les marchés colorés et les quartiers vibrants de la capitale politique, Yaoundé. Les plans rapprochés sur les visages permettent aux spectateurs de ressentir intensément les émotions des personnages, tandis que les silences, savamment orchestrés, créent un vide palpable qui les immerge davantage dans l'histoire.
Le film nous plonge dans les coulisses des enquêtes policières à la camerounaise, avec ses méthodes expéditives et ses interrogatoires musclés. Le commissaire Billong, violent et impulsif, reflète une certaine image de la police camerounaise. Si cette authenticité est un atout, elle risque aussi de déstabiliser le spectateur étranger, qui pourrait se demander si Yaoundé n'a que ce visage sombre à offrir. La ville est-elle vraiment aussi sale, aussi dangereuse ?
Plus qu'un simple film, cette quatrième réalisation est un appel vibrant aux autorités camerounaises. Elle invite à reconsidérer les défis sociaux et économiques du pays et interpelle les parents, souvent accaparés par leurs obligations professionnelles, à trouver un équilibre essentiel entre leur vie personnelle et leur carrière. Ce long métrage rappelle avec force que la meilleure éducation est celle qui est empreinte de douceur et de compréhension. Ce thriller engagé marque ainsi une étape importante dans l'évolution de l'industrie cinématographique camerounaise, en ouvrant un dialogue nécessaire sur les enjeux cruciaux de la société.
Au-delà de sa dimension policière et de son portrait social sans concession, "Indomptable" nous rappelle que l'espoir peut jaillir même dans les contextes les plus difficiles. Malgré la corruption, la violence et les difficultés matérielles, les personnages continuent de se battre, de résister, de chercher un moyen de s'en sortir. C'est peut-être là la plus belle leçon du film : même dans l'obscurité, l'indomptable esprit camerounais continue de briller.
Laure FOGANG