Éséka, 9 ans après : l’oubli plus fort que la justice ?

CHRONIQUE. Le 21 octobre 2016 restera à jamais une date sombre dans l’histoire du Cameroun. Ce jour-là, un train de la société Camrail déraillait à Éséka, causant la mort de près de 80 personnes et faisant des centaines de blessés. Neuf ans plus tard, que reste-t-il de cette tragédie dans la mémoire collective nationale ? Bien peu, malheureusement. Une stèle du souvenir, dressée dans la ville d’Éséka, subsiste comme unique trace physique de cette catastrophe, mais elle est aujourd’hui à l’abandon – symbole cruel de notre rapport au passé et à la mémoire des victimes.

Il est douloureux de constater que, comme c’est trop souvent le cas en Afrique, nous avons une fâcheuse tendance à tourner la page sans l’avoir lue jusqu’au bout. Nous n’écrivons pas notre histoire. Nous ne racontons pas nos drames. Et pire encore, nous n’en tirons aucune leçon.

Depuis ce 21 octobre 2016, qu’a-t-on véritablement fait pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise ? Le transport ferroviaire camerounais n’a connu aucune modernisation significative. Les textes de loi encadrant la responsabilité en cas d’accidents ferroviaires n’ont pas été révisés. Les mécanismes de prise en charge des victimes, qu’ils soient humains ou juridiques, demeurent archaïques. Rien, ou presque, n’a bougé.

Les responsabilités judiciaires dans cette affaire ? Jamais clairement assumées. Les condamnations prononcées n’ont pas été suivies de peines effectives. Les indemnisations versées aux familles des victimes ont été jugées dérisoires, insuffisantes, indignes de l’ampleur du drame. Quant à la gestion du transport ferroviaire, elle reste entre les mains de Camrail, filiale du groupe Bolloré, sans aucune réforme structurelle majeure ni remise en question du modèle de concession.

Il ne s’agit pas ici de raviver inutilement une douleur, mais de refuser l’oubli. L’oubli, lorsqu’il devient politique, est une forme de violence. Il est aussi complice de l’injustice. En tant qu’écrivain, j’ai tenté d’apporter ma pierre à l’édifice de la mémoire avec le roman Éséka, dans le train de la mort publié aux éditions L’Harmattan Cameroun. Mais la littérature ne peut, à elle seule, réparer les silences institutionnels.

À quand une véritable politique de mémoire au Cameroun ? À quand des réformes concrètes pour sécuriser notre réseau ferroviaire ? À quand la fin de l’impunité dans les catastrophes dites « accidentelles » mais trop souvent causées par la négligence, la corruption ou l’indifférence ?

Les morts d’Éséka méritent mieux que le silence. Ils méritent justice. Ils méritent mémoire. Ils méritent un pays qui apprend, qui se souvient et qui agit.

Le Cameroun ne doit plus se contenter d’ériger des stèles. Il doit ériger des institutions solides, des lois modernes, une culture de responsabilité et de respect des vies humaines.

Il est temps de sortir du train de l’oubli.

Par Vireil Renaud EBOTO, écrivain, auteur du roman Éséka, dans le train de la mort, éditions L’Harmattan Cameroun

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